Commémoration en 1859 du premier synode national réformé
Les Églises réformées de France semblent avoir ignoré le jubilé de 1617. Comme les précédents (1550, 1600), le jubilé catholique de 1625 suscite une critique en règle des jubilés romains, due à Charles Drelincourt, pasteur de Charenton : « cérémonie à la fois judaïque et païenne, encadrant la pratique des indulgences, que même le Concile de Trente a peiné à justifier ». Le rôle providentiel de Luther en 1517 est signalé à cette occasion, mais sans plus.
En France, c’est seulement dans la deuxième moitié du XIXe siècle que sont apparus chez les protestants des projets de jubilés commémoratifs.
Le premier qui a concerné l’ensemble des Églises réformées de France, a lieu le 29 mai 1859, pour le troisième jubilé séculaire de la Réformation en France, en mémoire du premier synode national des Églises réformées (mai 1559). C’est la Conférence pastorale réunie à Paris en avril 1858 qui en a eu l’idée, inspirée sans doute du jubilé genevois de 1836 et de plusieurs jubilés d’Églises réformées françaises à l’étranger depuis 1850. Représentant la « diversité » théologique du protestantisme, déjà tendu au sujet de la confession de foi, la commission du jubilé a mobilisé tous les pasteurs réformés de France, et a invité les luthériens, et les Églises protestantes de l’étranger :
“les Églises réformées pourraient consacrer le dimanche 29 mai 1859 à une prédication spéciale sur les faits historiques de l’époque commémorée […], accompagnée de réflexions et d’exhortations appropriées à la circonstance.”
Les comptes rendus du jubilé adressés à la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF) par 78 paroisses témoignent du succès de la commémoration. La plus importante, sur trois jours, eut lieu à Nîmes, avec en point d’orgue une assemblée géante en plein air, sur le lieu des anciennes assemblées du Désert. Sermons et discours, entrecoupés de chants, de cantiques, dont le choral de Luther, rappellent la Réforme française et les temps des martyrs du XVIe siècle et du Désert. Tous exhortent à la repentance, face au relâchement général de la foi, et à la tolérance envers « nos frères catholiques », dans un contexte d’apaisement confessionnel.
Lancement de la fête de la Réformation
Ce jubilé de la « Réformation française » n’a pas pour autant fixé une date annuelle de mémorial de la Réforme dans les Églises réformées françaises. Quand le comité de la Société d’Histoire du Protestantisme Français (SHPF), en 1866, lance la « fête de la Réformation », il ne retient pas la date du synode français de 1559, trop savante. Quoiqu’avec hésitation, en raison de sa coloration « allemande », il se calque sur la pratique allemande et fait le choix de la date anniversaire de l’affichage des 95 thèses de Luther comme signal du « réveil de la conscience chrétienne » ; donc le jour de la Toussaint (férié en France), mais « dégagé du souvenir trop exclusif des thèses [de Luther] », pour lui associer des « souvenirs tout français ». Depuis cette fête est célébrée tous les ans mais déplacée au dimanche le plus proche du 1er novembre.
Bicentenaire de la Révocation de l'édit de Nantes, en 1885
Le second grand moment commémoratif des réformés français a lieu en 1885 pour le bicentenaire de la Révocation de l’édit de Nantes. A vrai dire, le Comité de la SHPF n’a pris l’initiative de cette commémoration publique qu’avec réserve. Il y a été poussé, dès 1883, par les Sociétés de descendants huguenots à l’étranger.
Mais dans le contexte d’une renaissance de l’antiprotestantisme depuis la défaite française de 1870, il était soucieux de ne pas donner prise au reproche de « raviver les haines confessionnelles », en rappelant une date noire de l’histoire de France et en manifestant une solidarité avec les « frères étrangers ». C’est pourquoi l’invitation de la SHPF aux pasteurs à prévoir des « services commémoratifs » le dimanche 18 octobre 1885, encadre précisément leur thématique : la commémoration doit être un « acte d’humiliation et de deuil national » et une « ardente prière à Dieu pour le triomphe des idées de tolérance et de justice ». Après les services commémoratifs célébrés le dimanche dans les paroisses, la cérémonie propre de la SHPF a lieu le jeudi 22 octobre au soir, à l’Oratoire, en présence d’un seul délégué étranger, de l’Église wallonne. Les discours du pasteur Eugène Bersier (1831-1889) et du pasteur et sénateur Edmond de Pressensé (1824-1891), encadrés de prières et de cantiques (dont le choral de Luther), font retentir le thème patriotique.
Le nationalisme et l’antiprotestantisme croissants imposent une chape de silence sur le tricentenaire de l’édit de Nantes, au printemps 1898. Ce premier « édit de tolérance » est discrètement commémoré à Nantes, après les élections législatives, dans le grand temple pavoisé aux couleurs nationales. À nouveau, les très rares représentants de sociétés étrangères en lien avec la SHPF et les Églises réformées françaises ne sont pas invités à s’exprimer.
4e centenaire de Calvin en 1909
La perspective d’un jubilé à l’occasion du 4e centenaire de Calvin, à la date de juillet 1909, n’a pas échappé aux Églises réformées françaises, même si l’anniversaire de ce Français de naissance était d’emblée préempté par l’Église encore « nationale » de Genève, bénéficiant de l’appui d’institutions publiques et d’une mémoire nationale encore vive. En 1909, dans le contexte de la Séparation des Églises et de l’Etat, et de la « guerre des deux Frances », le jubilé du réformateur est une affaire délicate pour les protestants français. La commission de la « fête du centenaire de Calvin », présidée par le pasteur historien Paul de Félice composée d’une majorité de pasteurs et de membres de la SHPF, a préféré se démarquer du jubilé genevois : c’est « l’illustre Français » qu’il s’agit de célébrer en France. Si la date retenue pour la commémoration publique « nationale » est celle de la fête de la Réformation, c’est dans un lieu laïc, le Trocadéro, et non dans un temple, qu’elle est prévue. En conclusion de son discours, le pasteur Doumergue n’hésite pas à qualifier Calvin d’« instrument puissant de l’esprit français et de l’esprit de Dieu : Gesta Dei per Francos ». Plus sobre dans l’expression, le pasteur Jules-E. Roberty fait porter l’accent sur le rôle de la minorité calviniste anglaise dans la genèse des déclarations des droits américaines, modèles de la Déclaration française de 1789.
Discrétion en 1917 pour le 400e anniversaire de la Réformation
En 1917, la troisième année de la guerre, le climat n’est pas propice à une célébration de la Réforme.En septembre 1917, alors que les Églises protestantes des États-Unis vont célébrer le 400e anniversaire de la Réformation de Luther, le président de la SHPF (Société de l’histoire du protestantisme français), Frank Puaux, adresse au président du Comité d’organisation du jubilé les « sentiments de fraternité qui unissent les descendants des huguenots de France aux descendants des puritains d’Amérique », sans mentionner Luther. En décembre 1917, dans son discours annuel de président de la SHPF, Puaux rattache la proclamation du président Wilson, lors de l’entrée en guerre des États-Unis, à la déclaration de Luther à Worms, pour la liberté de conscience et la justice, lesquelles sont bafouées par l’Allemagne, devenue « le fléau et la terreur de l’Europe »
Face au jubilé patriotique allemand, la Revue de Métaphysique et de Morale a l’idée d’un numéro sur la Réforme et les différentes Réformations, allemandes, françaises et anglaises. Ce numéro ne paraîtra qu’en 1918.
Nombreuses célébrations à la fin du XXème siècle
Depuis la fin des années 1970, la passion commémorative, en Europe en général, en France en particulier, a touché tout le « patrimoine », mis en péril par la disparition accélérée des structures sociales et institutionnelles qui garantissaient la stabilité dans la transmission entre les générations. Elle a relancé les jubilés de la Réformation, en perte de vitesse depuis le milieu du XXe siècle.
En France, la commémoration de la Révocation de l’édit de Nantes en 1985 a d’abord suscité quelque embarras à la SHPF et dans l’Église réformée de France : des craintes se sont exprimées, à la fois du péril d’hagiographie et du risque de dommage pour le climat œcuménique. Aussi la ligne d’une histoire rigoureusement « déconfessionnalisée » fut-elle revendiquée dans tous les colloques et manifestations ecclésiaux français.
La commémoration de 1985, à succès, avec célébration à l’Unesco en présence du président François Mitterrand et de nombreuses délégations étrangères, enclencha le cycle commémoratif protestant :
1987 (200e anniversaire de l’édit de tolérance),
1989 (200e anniversaire de la Révolution française et 1er culte célébré publiquement),
1998 (400e anniversaire de l’édit de Nantes), plus facilement consensuel autour du drapeau de la tolérance, valeur suprême.
Là-dessus arriva le Jubilé de l’an 2000, pris en main par Rome, et timidement célébré par les Églises protestantes. Seuls des protestants ont pu s’étonner que l’« année sainte », ouverte à Rome par le pape Jean-Paul II, ait donné lieu à la promulgation d’indulgences, dans la pure tradition des jubilés de l’Église catholique depuis sept siècles. Le malentendu confessionnel sur le jubilé était toujours là.
En 2009, le 500e anniversaire de la naissance de Calvin, est célébré par de nombreuses manifestations, particulièrement à Noyon, ville de naissance de Calvin, où se situe un musée Calvin.
De nombreuses publications sur Calvin ont vu le jour et les œuvres de Calvin sont entrées dans la bibliothèque de la Pléiade.