Calvin et le « sola scriptura »
Comment Calvin comprend-il l’Écriture seule, le « sola scriptura » ? Pour Calvin, seule l’Écriture permet une véritable connaissance de Dieu. Sans elle, nous sommes condamnés à l’ignorance et à l’erreur. « Nul, écrit-il, ne peut avoir, seulement un petit goût de saine doctrine (tant qu’il n’a pas été) enseigné par l’Écriture sainte ». Cette affirmation appelle trois précisions :
- Calvin admet que nous pouvons acquérir quelques lumières sur Dieu par l’examen de la nature et l’exercice de la raison. Mais le savoir ainsi obtenu reste partiel et insuffisant. S’il nous apprend que le monde vient nécessairement d’un créateur puissant et admirable, il ne dit rien du salut. Même si on peut percevoir Dieu ailleurs, seule la Bible nous révèle qu’il est sauveur.
- La Bible donne une connaissance de Dieu juste sans être totale. Elle ne fait pas pénétrer dans l’intimité de son être et n’en dévoile pas le « secret ». Elle porte seulement sur ce qui est nécessaire à notre salut. Il y a là une limite qu’il ne faut pas essayer de franchir. Calvin condamne ceux qui tentent d’aller au-delà de ce que dit l’Écriture. Il leur reproche de se laisser entraîner par une curiosité frivole (ils désirent un savoir non nécessaire) et blasphématoire (ils veulent percer le mystère de Dieu).
- L’Écriture ne contient rien d’inutile ni de superflu. Tout ce qu’elle enseigne répond à une nécessité. S’il ne faut rien lui ajouter (en affirmant plus que ce qu’elle dit), inversement, il ne faut rien en retrancher (en croyant moins que ce qu’elle dit). Calvin s’en prend à ceux qui hésitent à accepter un enseignement contenu dans l’Écriture (par exemple, la double prédestination) ou qui le considèrent comme indifférent (c’est-à-dire non obligatoire).
Un littéralisme modéré
Si Calvin accorde beaucoup de poids et d’autorité à l’Écriture, il n’en affirme nullement l’inerrance (inerrance signifie l’absence de toute erreur en quelque domaine que ce soit). Deux raisons l’empêchent de considérer ses énoncés comme infaillibles.
D’abord, il distingue la doctrine de sa formulation. L’autorité absolue de la Bible concerne la doctrine (ou, plus précisément, ce qui est nécessaire au salut) et nullement les expressions ni le détail des récits. Calvin admet sans difficulté que tel auteur du Nouveau Testament se trompe en citant l’Ancien ou que tel récit des Évangiles manque d’exactitude. Il reconnaît que les copistes font des erreurs et que nous disposons d’un texte parfois altéré. Il lui arrive de citer de manière très approximative des versets bibliques ; il n’a pas grand souci de fidélité littérale. Si le contenu de la Bible est divin, sa formulation est humaine et, en tant que telle, sujette à l’erreur.
Ensuite, pour Calvin, quand Dieu nous parle, il se met à notre portée ; il s’exprime selon nos concepts et nos catégories de pensée ; il émet un discours qui nous est accessible. Calvin le compare à une nourrice qui parle à son bébé un langage enfantin pour communiquer avec lui. Ainsi, le récit de la création présente le soleil et la lune comme les deux principaux luminaires célestes. Or, écrit Calvin, nous savons bien qu’il existe quantité d’astres plus grands. En inspirant cette page à son auteur, le Saint Esprit s’est conformé aux connaissances (fausses et obscures) des hommes de ce temps ; il a parlé à leur manière, dans leur langage, en fonction de leur savoir pour qu’ils comprennent. Ce thème de « l’accommodation » ouvre la voie à une lecture culturelle de la Bible ; il faut la comprendre en la replaçant dans son contexte et donc en la relativisant (c’est-à-dire en la mettant en relation avec son environnement et son époque).
Le discours et la voix
Calvin a le souci d’éviter toute idolâtrie de la lettre. En lui-même, le texte biblique est, déclare-t-il, « une chose morte, sans aucune vigueur ». Il ne devient parole vivante et vivifiante que par l’action du Saint Esprit dans notre cœur et notre esprit. Les théologiens réformés postérieurs distingueront le verbum Dei (le discours écrit de Dieu) que nous trouvons dans la Bible et la vox Dei (la voix vivante de Dieu) que l’Esprit fait entendre.
Sans l’Esprit, l’Écriture est un verbum, un énoncé ou un exposé qui contient, certes, un savoir juste sur Dieu et dont il est possible de déduire la vraie doctrine. Il ne rend cependant pas le Christ présent et proche, même s’il transmet son enseignement. D’être un spécialiste de la Bible et un bon exégète ne suffit pas pour en recevoir la parole qui sauve et transforme.
À l’inverse, l’Esprit sans l’Écriture ne dit et n’apprend rien. Il y a là une polémique contre ceux (enthousiastes et illuministes) qui croyaient que l’Esprit les enseignait directement et contre ceux (allégoristes de la fin du Moyen Âge) qui faisaient appel à l’Esprit pour s’affranchir de la lettre. L’Esprit ne communique pas un savoir ; il fait du savoir contenu dans l’Écriture une vérité existentielle. La foi ne dispense pas d’un travail exégétique érudit et rigoureux.
La parole de Dieu retentit lorsque se rencontrent et se rejoignent le verbum et la vox. S’il faut se préoccuper de la formation intellectuelle du lecteur de la Bible, son inspiration, comparable à celle des écrivains sacrés, est également importante. « Il est nécessaire, affirme Calvin, que le même Esprit qui a parlé par la bouche des prophètes entre dans nos cœurs ». C’est pourquoi, dans les cultes réformés, la lecture de la Bible est précédée d’une prière d’illumination qui demande à l’Esprit d’agir pour que le texte lu devienne parole vivante.
Auteur : André Gounelle