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Claude Garamont, graveur typographe réformé

Claude Garamont (1499-1561), souvent orthographié Garamond, est né à Paris d’un père imprimeur breton de Morlaix, installé à Paris. Avec Guillaume Le Bé et Robert Granjon, il est un des plus célèbres créateurs de caractères français du XVIe siècle. Il est le créateur des « Grecs du roi », une série de polices grecques imitée de modèles manuscrits, ainsi que d’un fameux type romain qui porte son nom (le Garamond) et sera redécouvert par la suite.

Formation

© Wikimedia commons

Claude Garamont travaille à Paris comme graveur, tailleur et fondeur de caractères typographiques. Vers 1530, il est apprenti d’Antoine Augereau, jeune typographe établi rue Saint-Jacques, qui sera l’un des premiers à rendre cette activité indépendante de l’imprimerie, car auparavant, les imprimeurs gravaient et fondaient eux-mêmes leurs caractères. Il achève son apprentissage en 1534.

Vers 1530, Robert Estienne, célèbre éditeur-imprimeur parisien, commande à Claude Garamont un caractère romain utilisé pour la première fois dans le Paraphrasis in Elegantiarum Libros Laurentii Vallæ d’Érasme (1530). Selon les spécialistes, Garamont s’est inspiré des créations d’Alde Manuce et de ses maîtres, Simon de Colines et Antoine Augereau.

En 1535-1536, Antoine Augereau est exécuté pour hérésie. Garamont est alors engagé comme fondeur de l’atelier du Soleil d’Or, l’une des plus grandes imprimeries parisiennes, jusqu’en 1540. Garamont a sans doute parachevé son apprentissage auprès de Simon de Colines, beau-père de Robert Estienne, qui aurait repris une partie des activités d’Augereau, car c’était un pionnier dans l’introduction des caractères romains et italiques à Paris. C’est aussi au Soleil d’or que Garamont fait la connaissance de Jean de Gagny, théologien, chanoine de la Sainte-Chapelle, amateur de livres rares et aumônier personnel de François Ier. Il prend le jeune graveur sous sa protection et l’associe aux projets d’édition en grec et en romain.

Les Grecs du Roy

© domaine public

En 1539, Garamont est chargé d’équiper l’imprimerie de Conrad Néobar, récemment nommé « imprimeur du Roy pour le Grec ».

En 1540, Garamont reçoit la commande royale de poinçons de caractères d’un alphabet grec, dont la gravure l’occupe une dizaine d’années. Garamont grave donc pour Robert Estienne (imprimeur de François Ier pour le Grec) trois corps de caractères qui sont employés pour l’édition des ouvrages de Xénophon à partir de 1543.

Pour dessiner ces caractères, dits plus tard « Grecs du roi », Garamont travaille sous l’autorité du maître écrivain crétois Ange Vergèce (Angelos Vergikios). Ces caractères comportent un nombre important d’esprits, d’accents et de ligatures, qui les rendent esthétiques mais difficiles à composer. Ces caractères sont utilisés par les « imprimeurs du Roy pour le Grec », à commencer par Robert Estienne qui en emporte les poinçons et matrices dans son imprimerie à Genève.

Editeur et graveur typographe

En 1541-1543, Garamont et son beau-frère Pierre Gaultier, imprimeurs, s’installent à l’hôtel de Nesles, où François Ier a pour projet de construire « un beau et grand collège, qui sera appelé le Collège des trois langues », doté d’une bibliothèque royale de manuscrits grecs, latins et hébreux et dédié à l’enseignement humaniste. Ils sont chargés de créer une imprimerie associée au futur collège, mais le projet est abandonné par le souverain.

Après l’abandon du projet de collège royal, Claude Garamont et son beau-frère s’établissent au quartier latin. Il s’essaye alors au métier d’imprimeur, en association avec Jean Barbé et son beau-frère Pierre Gaultier, grâce à l’aide financière de Jean de Gagny, mais au bout de deux ans, l’expérience tourne court. Il publie une douzaine d’ouvrages, la plupart de très petit format et des réimpressions de textes religieux en latin : les évangiles, des traités patristiques, des œuvres de théologiens modernes et des poésies chrétiennes, antiques ou modernes.

A partir de 1550, Claude Garamont retaille ses poinçons de lettres romaines et surtout italiques, ces dernières d’après les caractères de Simon de Colines. Jean de Gaigny, le chancelier de la Sorbonne, lui conseille de créer une nouvelle italique, mais elle n’aura pas beaucoup de succès.

Claude Garamont, protestant réformé

Garamont a sans doute adhéré à la Réforme, compte tenu de ses liens avec les libraires et éditeurs protestants. Contrairement aux usages de l’époque, son testament n’invoque ni la Vierge, ni aucun saint. Garamont souhaite des obsèques simples, en présence d’un simple vicaire et ne commande ni prières ni messes après sa mort. Son exécuteur testamentaire, André Wechel, déclare quant à lui ouvertement sa foi protestante peu après lui. Après sa mort en décembre 1561, Guillaume Le Bé et André Wechel achètent une partie de son matériel.

Postérité des caractères romains

Garamont doit sa célébrité à ses caractères romains, dont la qualité était reconnue en son temps dans l’Europe entière, et qui supplantent rapidement les caractères gothiques en usage à l’époque. En 1600, Claude Garamont figure parmi  « les hommes illustres depuis 1500 » choisis par l’imprimeur Jean Le Clerc dans un placard largement diffusé, aux côtés de Robert Estienne et de Christophe Plantin, « qui ont éternisé leur mémoire parmy le monde, pour avoir conduit l’excellent art d’imprimerie à sa perfection ». S’il n’a pas inventé les caractères « romains », Garamont les a portés à un haut niveau de perfection. Avec les caractères italiques d’Aldo Manuce, elles deviennent le support privilégié de la vague de rééditions d’auteurs latins pendant la Renaissance.

Dans la seconde moitié du XVIème siècle, la fonderie Le Bé propose dans son catalogue les meilleures fontes de Garamond, ce qui pérennise la mémoire de Garamont. Si la plupart des matrices et des poinçons sont par la suite acquis par Christophe Plantin d’Anvers, et Jacques Sabon, fondeur de Francfort-sur-le-Main, sous Louis XIII, l’imprimerie royale récupère les fontes de Garamond que possédait la fonderie des Le Bé. Ils sont conservés au Cabinet des poinçons de l’Imprimerie nationale depuis 1641.

Par la suite, les caractères Garamond vont tomber dans l’oubli, avant d’être redécouverts et remis à l’honneur par l’entremise de l’Imprimerie nationale. En 1946, ils sont classés monuments historiques.

 

Au début du XIXe siècle, le style néoclassique des Didot triomphe et les caractères de Claude Garamont sont abandonnés. Mais vers 1850, Louis Perrin, imprimeur lyonnais, s’inspire des caractères de Garamont en faisant graver des caractères qui imitent ceux de la Renaissance ; les signes typographiques créés deux siècles plus tôt sont réhabilités sous leur forme ancienne. L’imprimerie nationale diffuse des caractères anciens et en l’espace de quelques années, en France, mais aussi en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, la mode du « Garamond » se répand.

Le Garamond reste aujourd’hui le caractère français classique par excellence (on orthographie généralement avec un «  t  » le nom du fondeur et un «  d  » le style de caractères qu’il a créé). De la Bibliothèque de la Pléiade aux volumes de Harry Potter, dans la presse ou la publicité, il s’affiche sur tous les supports. Pourtant ce nom générique regroupe un ample répertoire de lettres, d’une diversité de formes considérable : plus de deux cents polices numériques se présentent aujourd’hui comme des « Garamond ».

 

Voir la présentation de l’exposition « De Garamont aux Garamond(s), une aventure typographique » à la bibliothèque Mazarine à Paris.

Bibliographie

  • Livres
    • ARGETSINGER Mark, A Grammar of Typography, Classical book design in the Digital Age, David R. Godine, 2020
    • BOUDOU Bénédicte, KECSKEMETI Judit, La France des humanistes, Robert et Charles Estienne, des imprimeurs pédagogues, Brepols, 2009
    • CUNEO Anne, Le maître de Garamond, Antoine Augereau, graveur, imprimeur, éditeur, libraire, Stock, 2003
    • GUILLEMINOT-CHRETIEN Geneviève, « Le Testament de Claude Garamont » dans Le Livre et l’historien : études offertes en l’honneur du Professeur Henri-Jean Martin, Droz, 1997
    • JIMENES Rémi, François Ier et l’imprimerie royale : une occasion manquée ?, septembre 2020, Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, Volume 2
    • JIMENES Rémi, Claude Garamont, typographe de l’humanisme, Éditions des Cendres, 2022
    • PARENT Annie, Les Métiers du livre à Paris au XVIème siècle (1535-1560), Librairie Droz, Genève, 1974
    • PARENT-CHARON Annie, Humanisme et typographie : les « Grecs du Roi » et l’étude du monde antique, L'Art du livre à l'imprimerie nationale, Imprimerie nationale, Paris, 1973
    • PERROUSSEAUX Yves, Histoire de l’écriture typographique, de Gutenberg au XVIIème siècle, Atelier Perrousseaux, Gap, 2005

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