Biographie
Né à Breslau où son père était pasteur, F.D.E. Schleiermacher a fréquenté les établissements d’éducation des frères moraves, puis la faculté de théologie de Halle, fondée par le piétisme et toujours sous son influence. Très marqué par cette sensibilité jouant sur l’aspect subjectif et émotif de la religion, Schleiermacher n’y est pas resté inféodé. Un début de pastorat en Poméranie l’a rapidement conduit, en 1796, au poste d’aumônier réformé de l’hôpital de la Charité, à Berlin, ce qui lui permit d’entrer en contact direct avec les milieux cultivés de cette ville, en particulier avec les principaux représentants du romantisme. En 1804, il est appelé à occuper un poste professoral à la faculté de théologie de Halle et y reste jusqu’en 1807, date à laquelle il retourna à Berlin, mais sans affectation précise, et participe activement à la mise en place de la nouvelle université de cette ville. En 1809 enfin, parallèlement à son enseignement universitaire, il est nommé prédicateur de l’église de la Trinité. Toute la fin de sa vie a été dominée par une triple activité de pasteur, de prédicateur et de professeur de théologie, voire de philosophie.
Le théologien
Du point de vue du mouvement général des idées, Schleiermacher s’est d’abord distingué par ses traductions de Platon, mais il est surtout l’auteur de l’un des principaux manifestes du romantisme allemand : De la religion, discours à ceux de ses contempteurs qui sont des esprits cultivés (1799). L’essentiel de son argumentation revient à dire en substance à ces « contempteurs » : « Vous croyez n’être pas religieux, mais par ignorance de ce qu’est la vraie religion ; car la religion n’est pas un savoir, ni une morale ; elle est conscience immédiate et intuitive de l’infini, de la dépendance absolue de l’homme par rapport à l’infini de Dieu ; vous voici donc plus réellement religieux que vous n’imaginiez l’être. » Cela posé, Schleiermacher invite ses lecteurs à faire avec lui quelques pas de plus : une religion aussi réellement religieuse, ils ne sauraient la trouver mieux que dans le christianisme et, au sein du christianisme, dans son acception protestante, mais d’un protestantisme qui prend au sérieux le témoignage intérieur du Saint-Esprit et en tire les conséquences qui s’imposent dans le présent.
Ces Discours de Schleiermacher ont fait date, d’une part en dépassant l’exigence morale de Kant par le postulat de l’existence, en l’être humain, d’une dimension religieuse spécifique et inaliénable, d’autre part en situant le problème des formulations doctrinales dans une perspective très renouvelante : les doctrines ne sont plus des vérités révélées comme telles, mais l’expression que les hommes donnent à la conscience de leur relation à Dieu. Dans une région, comme celle de Berlin, où les oppositions doctrinales entre luthériens et réformés étaient particulièrement marquées, cela revenait à dire que ces différences de doctrines correspondaient à des manières différentes de comprendre une même exigence fondamentale, et non à deux conceptions doctrinales inconciliables. Schleiermacher en a conclu que luthériens et réformés n’avaient pas de raisons réelles de continuer à célébrer des cultes distincts. Aussi a-t-il proposé au roi de Prusse, Friedrich Wilhelm III, une version modifiée de la liturgie officielle en usage sur ses terres. Mais là où le théologien ne concevait pas que l’on puisse agir autrement que par persuasion, le roi voulut imposer cette nouvelle liturgie par la force et provoqua une scission au sein de l’Église luthérienne. Complètement opposé à cette manière d’agir, Schleiermacher en devint un critique sévère du principe de l’Église d’État telle qu’elle existait à ce moment-là en Prusse, mais sans prôner jamais la séparation de l’Église et de l’État au sens absolu où le voulut bientôt un Alexandre Vinet.
Schleiermacher a laissé de nombreux écrits théologiques qui ont influencé l’ensemble de la théologie protestante subséquente. Le plus important est sa Glaubenslehre, ou « doctrine de la foi », qu’il ne faut surtout pas confondre avec une « dogmatique ». Son but n’est en effet pas d’exposer une série de dogmes tenus pour normatifs, mais de développer une conception de la foi et de ses conséquences qui soit cohérente avec l’essence de la religion telle qu’elle peut être perçue et vécue en perspective chrétienne. Il a également développé une Herméneutique, une Éthique philosophique et une Dialectique. Il est enfin l’un des grands maîtres de la Théologie pratique, par quoi il faut entendre sous sa plume un enseignement touchant à la foi à la pratique du ministère pastoral et à la gestion des institutions ecclésiastiques.
On a dit de lui qu’il était « le père du protestantisme moderne » (Karl Barth). Il l’est en particulier par son attention soutenue aux manifestations de la culture. Lui qui comparait le ministre de la religion à un « virtuose », c’est-à-dire à un artiste ou à un poète, a ouvert largement la voie à une réflexion de la théologie attentive à éviter de tracer une frontière trop nette entre le christianisme et la culture, mais incite au contraire à toujours tenir compte de leur étroite parenté.