David Haviland réussit en trente ans à transmettre à ses descendants un outil industriel de premier plan et une part importante du marché des États-Unis.
Les Haviland appartiennent à une très ancienne famille établie dans le Cotentin lors des invasions normandes et dont une branche anglaise existe toujours. Au début du dix septième siècle un William émigre en Amérique, on le retrouve à Providence en 1648. Il a rejoint la colonie « Quaker ». Après six générations de colons, un certain David, né en 1814, exploite, avec son frère ainé, un magasin de marchandises diverses, parmi lesquelles de la vaisselle anglaise, situé 47 John St. (près de Wall St.) à New York. Cette petite entreprise commerciale deviendra la société Haviland Brothers en 1852 quand d’autres membres de la famille les rejoindront.
Vers la fin des années 1830, la crise économique sévit en Amérique et c’est sans doute pour essayer de se diversifier en important de la porcelaine dure, marchandise nouvelle peu connue en Amérique, que David décide d’émigrer en France avec femme et enfant. A l’automne 1841, il est à Fœcy chez des fabricants de porcelaine « amis », c’est à dire des Quakers comme lui ; l’indépendance d’esprit des membres de la famille s’explique peut être par leur appartenance à cette branche particulière du protestantisme. Il arrive à Limoges vers avril/mai 1842, accompagné de Mary, son épouse et d’un enfant de 2 ans appelé Charles. Un second fils, Théodore naîtra en août. Le choix de Limoges s’explique par l’existence, localement, de gisements de kaolin, l’argile nécessaire à la production de la porcelaine.
Une réussite industrielle et commerciale
David, qui arrive en Limousin sans connaitre ni la langue ni la technique de la porcelaine, fait le tour des quelques usines existantes. Il sélectionne de la marchandise et l’expédie à ses frères à New York. Ce produit nouveau plait à la clientèle, si bien qu’il peut acheter ses propres moules pour faire fabriquer et exporter des produits spécifiques, conformes aux habitudes américaines.
Le succès aidant David peut envisager de passer au statut de décorateur c’est-à-dire acheter du « blanc » et décorer lui-même.
Entre 1842 et 1853, grâce à l’arrivée de David, les exportations de porcelaine française vers les États-Unis sont passées de 753 à 8594 colis. Haviland participe à la World Fair de New York en 1853 et obtient une médaille.
Le marché américain est acquis et le chiffre d’affaires permet maintenant d’engager des investissements importants pour devenir fabricant à part entière.
La guerre de Sécession en Amérique (« Civil War », 1861-65) est catastrophique. La production étant presque exclusivement destinée au marché américain, il faut tout arrêter, la construction de l’usine en particulier et attendre des temps meilleurs. Haviland Brothers fait faillite, les « limousins » se retrouvent seuls.
La société de droit français Haviland et Compagnie (H& Cie) est fondée le 1er mars 1864.
Dés la fin de la guerre, Théodore (1842-1919) est envoyé aux USA. A 23 ans, très doué pour le commerce, il réussit à monter un réseau et à imposer la marque familiale au point que la fabrique de Limoges n’arrive pas à livrer. Les expéditions de H&C° passent en effet de 2 872 tonneaux en 1867 à 4 767 en 1870, pour atteindre 5 500 en 1872 soit un doublement en cinq ans. Désormais l’on n’hésite plus à investir. L’usine dispose, dès 1870, de 6 fours, on a adopté une technique plus moderne, la cuisson au charbon.
La famille reste très attachée à ses convictions religieuses ; du temps de Mary le port de coton était proscrit car dû au travail d’esclaves noirs. Si l’on peut attribuer à l’absence de communautés Quaker en France la faible participation, sauf financière, des premières générations, à la vie de la paroisse de Limoges, il n’en est pas de même sur le plan social. Leurs initiatives en la matière peuvent se comparer aux actions menées par d’autres industriels protestants. Dès 1870 une caisse de secours destinée à venir en aide aux soldats et à leurs familles est créée. Elle est suivie par une caisse de solidarité, un organisme d’accession à la propriété de type HLM puis d’une association de colonies de vacances appelée La Clé des Champs.
Enfin, l’indépendance d’esprit et le marque de respect pour les conventions des membres de la famille s’expliquent, très probablement, par leur appartenance à cette branche particulière du protestantisme.
La révolution du décor
Charles Haviland prend très tôt la direction effective de la Manufacture. Il bénéficie grâce à son père d’une position commerciale dominante sur le marché Américain et d’un outil industriel tout neuf. C’est la plus grosse usine de France et l’une des plus importantes d’Europe. Mais la porcelaine est un produit de luxe, soumis aux phénomènes de mode. Charles prend conscience du caractère désuet de sa production. Il a besoin d’idées nouvelles et originales qu’il ne peut pas trouver chez les professionnels locaux plus ou moins prisonniers de la tradition.
Approche tout à fait inédite et commercialement risquée Charles décide de faire appel à un « Artiste », Félix Bracquemond, alors chef de l’atelier de peinture à la Manufacture de Sèvres. Il l’embauche et lui confie, le 1 juillet 1872, la « Direction d’Art » d’un atelier de création et d’impression de décors, situé 116, rue Michel Ange à Paris et que l’on appelle l’Atelier d’Auteuil. Sa mission est double : mettre au point une technique nouvelle afin d’abaisser le prix de revient et créer des décors inédits à forte valeur artistique.
La « chromolithographie », qui permet de reporter à la fois le dessin et les couleurs évite la coûteuse peinture à la main. Une approche résolument non traditionnelle de la disposition du décor inspirée de l’art Japonais et l’adoption des acquits de l’impressionnisme en peinture permettent la création de centaines de décors que l’on peut qualifier de révolutionnaires et qui rencontrent la faveur du marché.
Le leadership de H& Cie ° est ainsi confirmé.
L'art nouveau à l'art déco
A la fin des années 1880, Théodore revient des États-Unis et crée sa propre société : « Théodore Haviland et Cie »Il construit une usine moderne et, grâce à une période d’extension du marché particulièrement favorable, parvient à s’imposer à côté de Haviland et Cie.
La mode a encore changé. Les excès du japonisme sont oubliés, on est revenu à la tradition du décor du XVIIIe siècle avec centres floraux et bandes décoratives concentriques. Théodore Haviland le comprend, il adopte une politique très efficace qui consiste à offrir en permanence à la clientèle des décors inédits, on en crée presque un par jour, toujours extrêmement raffinés, sans céder aux « excès » du style Art Nouveau.
William Dannat Haviland , fils de Théodore, entre à la fabrique en 1903 et en devient Directeur en 1919 héritant d’un remarquable outil industriel. Une fois encore le monde vient de connaitre des évènements tragiques et le marché est en pleine mutation, il faut innover. Pour maintenir la tradition d’une production utilitaire, belle et résolument contemporaine des mouvements artistiques les plus avancés, William fait, lui aussi, appel à des « Artistes ». Dès 1916, Edouard Marcel Sandoz, proposait toute une gamme d’objets décoratifs animaliers à la sculpture simplifiée presque cubiste. William adopte deux nouvelles matières, le céladon et l’ivoire, crée des modèles avant-gardistes, dont certains à la structure minimaliste, typique de l’Art Déco. Il s’assure la collaboration d’artistes aussi divers que Jean Dufy et Suzanne Lalique (épouse de son cousin germain Paul Burty Haviland). Ces créations sont considérées comme faisant partie des grandes réussites de l’époque Art Déco en porcelaine.
Après la deuxième guerre mondiale, qui a été particulièrement pénalisante pour l’industrie limousine, la Société Haviland a changé de mains. Elle est toujours en activité.
Auteur : Laurens d'Albis