La question récurrente du transfert de la faculté de Montauban
Créée par décret de Napoléon en 1808, la faculté de théologie protestante de Montauban fait très tôt l’objet de critiques. « De fortes études de théologie protestante de nature à former des pasteurs tels que l’exige l’état actuel des mœurs et des lumières ne se feront qu’à Paris », affirme par exemple le journal Le Libre examen. « Laisser notre enseignement théologique supérieur à Montauban, c’est le laisser dans un isolement fatal à tout progrès », écrit le pasteur Honoré Michel, qui milite dès les années 1830 en faveur de la création d’une faculté de théologie protestante dans la capitale : « Placés à Paris, les étudiants et les professeurs de la faculté de théologie entreraient facilement en communication avec l’Europe protestante. »
Mais Paris n’est pas la seule option envisagée : les protestants nîmois espèrent eux aussi récupérer la faculté. Le débat traverse cependant tout le siècle sans être tranché. L’ouverture de la faculté de théologie de Paris en 1877, suite à l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne et à la perte de la faculté de Strasbourg, semble calmer les esprits : la faculté de Montauban répond aux besoins des Églises réformées du sud de la France, situées dans le « croissant huguenot » qui va de La Rochelle à Lyon en passant par le Béarn et le Languedoc.
Le débat rebondit au lendemain de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : la faculté et le séminaire de Montauban incombent désormais à la charge exclusive des Églises réformées. Les effectifs étudiants commencent à baisser. Une commission d’enquête de l’Église est constituée pour évaluer la possibilité d’un transfert vers une ville universitaire, plus protestante et plus riche que Montauban. La Première Guerre mondiale précipite les changements : la faculté est transformée en hôpital militaire, et dix étudiants tombent au champ d’honneur. En 1919, le synode national de Neuilly des Églises réformées évangéliques décide officiellement le transfert de la faculté à Montpellier. La question des locaux est résolue par l’achat de la propriété des époux Charles Gide, la villa Saint-Martin de Prunet.
L’installation à Montpellier
L’installation à Montpellier en novembre 1919 se fait dans une certaine continuité : le corps professoral reste le même ; l’enseignement et les études restent sur le modèle de Montauban. Le transfert de la bibliothèque pose en revanche problème, car il faut partager les ouvrages entre l’université de Toulouse et la faculté de Montpellier. Les négociations durent jusqu’en octobre 1923 et se terminent par un partage des collections : 20 750 volumes restent à Montauban, tandis que 12 596 volumes partent à Montpellier, stockés dans un premier temps à la faculté des lettres.
L’arrivée à Montpellier permet dès le début une collaboration avec l’université de la ville. Les étudiants en théologie suivent ainsi les cours d’histoire de Paul Gachon à la faculté des lettres et les cours d’Henri Donnedieu de Vabres à la faculté de droit.
La Résistance à la faculté de théologie de Montpellier
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la faculté abrite des activités de résistance. Le doyen Henry Leenhardt (1900-1961) organise un atelier de fabrication de faux papiers et un réseau d’évacuation d’un certain nombre de juifs et d’officiers alliés, grâce à l’aide de quelques étudiants et du pasteur Pierre-Charles Toureille (1900-1976) de Lunel. Henri Clavier (1892-1987), ancien professeur d’exégèse, et Jean Cadier (1898-1981), chargé de cours en théologie pratique et pasteur de la paroisse montpelliéraine de la rue Brueys, participent à la rédaction des « thèses de Pomeyrol » en septembre 1941 : ces thèses sont un des premiers actes de résistance spirituelle au nazisme et d’opposition aux persécutions des juifs. Théo Preiss (1910-1950), professeur de Nouveau Testament, rejoint le maquis dans la montagne du Tarn.
Dès avril 1941, un groupe d’une dizaine d’étudiants de la faculté s’engage dans des actions de résistance en distribuant des journaux clandestins : Présence de l’Église d’abord (petite brochure montpelliéraine créée à l’initiative de René Courtin, professeur à la faculté de droit, et destinée aux protestants de la ville), puis Les Cahiers du témoignage chrétien à partir de novembre 1941.
En septembre 1943, pour échapper au Service du Travail Obligatoire, des étudiants de la faculté prennent le maquis à Tréminis (Isère) : ils fondent leur propre groupe, surnommé « le maquis des théologiens » ; un mois et demi plus tard, quatre d’entre eux sont arrêtés et déportés à Mauthausen.
Entre 1945 et 1947, certains professeurs et étudiants de la faculté apportent leur soutien aux prisonniers allemands détenus à Montpellier, que les Alliés ont regroupés selon leur profil : le camp de Montpellier est constitué d’étudiants allemands en théologie.
Le développement de la faculté
La faculté de Montpellier se dote en 1926 d’une revue, les Études théologiques et religieuses.
La féminisation des étudiants se développe à partir de 1946, avec l’ouverture d’un cursus spécifique. Une douzaine de femmes achèvent leurs études entre 1946 et 1964. Lors du synode national de Strasbourg en 1955, le doyen Henry Leenhardt proteste contre le fait qu’on n’exige aucune étude des assistants de paroisse, qui peuvent devenir pasteurs et reçoivent un traitement identique à celui des pasteurs, alors que les assistantes doivent répondre à des exigences précises en termes de formation théologique, sans avoir les mêmes perspectives.
La première femme à obtenir le grade de docteur en théologie est Françoise Smyth-Florentin, en 1971, qui enseigne par la suite l’Ancien Testament à la faculté de théologie protestante de Paris. La première professeure nommée à la faculté est Danièle Fischer dans la chaire d’histoire en 1980, avant Michaëla Bauks dans la chaire d’Ancien Testament en 1995.
En 1972, la faculté de Montpellier s’associe avec la faculté de Paris au sein de l’Institut protestant de théologie (IPT), nouvelle structure commune destinée à la formation des divers ministères des Églises réformée et luthérienne de France.
La faculté développe ses liens internationaux, notamment avec Heidelberg, ville jumelée avec Montpellier, avec Richmond et Louisville (États-Unis), et avec les facultés de théologie protestante des pays latins.
La recherche exégétique et théologique développée à la faculté est riche et originale. L’enseignement des sciences est abandonné dans les années 1950, pour laisser place à un dialogue entre théologie, sociologie et psychologie sous l’impulsion de Georges Crespy (1920-1976). Jean Ansaldi (1934-2010) entrecroise théologie protestante et psychanalyse lacano-freudienne, initiant ce que l’on appellera « l’école de Montpellier », poursuivie après lui par Jean-Daniel Causse (1962-2018).
Le Centre Maurice-Leenhardt développe la recherche en missiologie.
Une structure d’accueil
À la fin des années 1940 est construit le Centre universitaire protestant (CUP), grâce à des fonds américains de l’Union theological seminary de Richmond, pour offrir une structure d’hébergement à des étudiants protestants, qu’ils viennent du sud de la France ou des Églises protestantes d’Afrique, de Madagascar ou d’Océanie. Une nouvelle bibliothèque est bâtie au milieu des années 1980, également grâce à la générosité américaine ; elle compte aujourd’hui 100 000 volumes, dont 12 000 livres antérieurs à 1800.
De 1974 à 1990, la faculté abrite l’École préparatoire de théologie protestante, fondée en 1846 pour permettre à des personnes n’ayant pas le niveau de baccalauréat requis d’entreprendre des études de théologie. Elle accueille le siège de la Communauté évangélique d’action apostolique (CEVAA), créée en 1971.
Depuis 2014, elle participe à la constitution d’un fonds protestant d’archives aux Archives départementales de l’Hérault, pour préserver et valoriser les archives familiales privées.
Centième ou quatre-centième anniversaire ?
Du 10 au 12 mai 1996 a lieu à Montpellier la célébration du quatrième centenaire de la faculté de théologie, avec séances officielles et remise de doctorats honoris causa ; un numéro hors-série de la revue Études théologiques et religieuses retrace ces festivités qui commémorent le quatrième centenaire du premier enseignement en théologie protestante donné à Montpellier : l’éphémère « Académie de Montpellier », sous la houlette du pasteur Gigord, est en effet reconnue officiellement par le synode provincial en 1596, même si l’enseignement a pu y être dispensé sans doute plus tôt, avant d’être réunie à celle de Nîmes en 1617 par décision du synode national de Vitré.
En 2020 sont célébrés les cent ans de la présence de la faculté libre de théologie protestante à Montpellier.
Site internet de l’IPT Montpellier