Les journaux et revues des élites
Les institutions réformées et luthériennes concordataires partageant le pouvoir entre pasteurs et grands notables censitaires jusqu’en 1852, seules ces deux catégories sociales sont d’abord visées par la « presse ».
Au départ, il s’agit en fait de revues au format in-8°, mensuelles ou bimestrielles. Premières en date, les Archives du Christianisme (1818-1868), fondées à Paris par le pasteur Juillerat-Chasseur avec un certain esprit d’ouverture théologique et internationale, font cohabiter au sein d’un comité de rédaction moderne des sympathisants du Réveil et des libéraux comme Charles Coquerel.
Dès 1819, ce dernier avait créé les Annales protestantes mais leur insuccès conduisit Coquerel aux Archives dont il devint rédacteur en chef de 1821 à 1823 avant de céder la place au pasteur Frédéric Monod qui apporta un soutien plus décidé au Réveil. Néanmoins, la scène n’est plus exclusivement parisienne avec les Mélanges de Religion, de Morale et de Critique sacrée (10 vol.) que Samuel Vincent anime depuis Nîmes entre 1820 et 1824, puis que remplacent la Revue protestante (Paris, Charles Coquerel, 1825-1828, 1830), et Religion et Christianisme (Nîmes, Samuel Vincent et Ferdinand Fontanès, janvier 1830 – août 1831, 4 vol.). À Strasbourg, et si l’on écarte le Courrier du Bas-Rhin (1815-1870), journal de la bourgeoisie protestante, mais qui n’a pas de contenu confessionnel, on signalera les Christliche Mitteilungen du professeur luthérien Krafft (1821-1826).
Par leur format, leur périodicité et leur public, ces supports donnent peu de place à l’actualité au profit d’articles de réflexion (souvent longs), de débats et de notes bibliographiques qui jouèrent un grand rôle dans la « formation continue » des pasteurs, notamment pour la théologie allemande et helvétique.
Déjà latente sous la Restauration, la double polarisation entre Nîmes et Paris et entre milieux réveillés et libéraux se confirme sous la Monarchie de Juillet. Outre les Archives du Christianisme, le Réveil se dote d’une revue destinée encore davantage aux cadres, voire aux intellectuels de cette mouvance avec Le Semeur (1831-1850) longtemps dirigée par Henri Lutteroth dont le double libéral est le Disciple de Jésus-Christ animé par Joseph Martin-Paschoud de 1839 à 1873. Plus concertée, l’édition libérale fait, du reste, alterner périodiques parisiens et nîmois reflétant ainsi la géographie ecclésiastique comme en témoigne la succession suivante : Le Protestant (Paris, Charles Coquerel, août 1831 – décembre 1833), Le libre examen (Paris, Athanase Coquerel, janvier 1834 – décembre 1836), L’Évangéliste (Valence-Nîmes, Ferdinand Fontanès, janvier 1837 – décembre 1840). La nouveauté réside cependant ailleurs, en l’occurrence dans une périodicité plus rapprochée (hebdomadaire ou bi-hebdomadaire), une maquette in-folio sur 4-8 pages avec double colonne faisant droit à des éditoriaux, et de véritables informations d’actualité religieuse. À cet égard, la presse réformée française est doublement débitrice des modèles helvétiques (Le Protestant de Genève et La Gazette évangélique, journal de la Suisse française pour la maquette) et luthériens français, notamment du Protestantisches Kirchen und Schulblatt (1834-1848) dont le Directoire de Strasbourg a fait la vitrine de son action.
On serait tenté de croire, alors, à la disparition des revues. Ce n’est pas tout à fait exact puisqu’en dehors du Semeur et du Disciple de Jésus-Christ apparaissent des organes spécialisés. Parmi eux, la Revue de théologie et de philosophie chrétienne (ou Revue de Strasbourg, 1850-1857) constituée autour d’Edmond Scherer et Timothée Colani, la Revue chrétienne (1854-1926) dirigée jusqu’à sa mort par Edmond de Pressensé (1824-1891) qui s’apparente un peu à la Revue des Deux-Mondes et surtout constitue au fil des ans une réponse protestante au très catholique Correspondant. Quoi qu’il en soit, cette tendance à la spécialisation s’exprime bien dans l’apparition de la Revue théologique, née en 1874 à Montauban à partir du supplément théologique qu’offrait la Revue chrétienne depuis 1863, et qui devient Revue de théologie et des questions religieuses à partir de 1891 comme expression quasi officielle de la faculté. Un tel principe se retrouve avec le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français diffusé dès 1852.
La « Grande » presse protestante
Au milieu de la Monarchie de Juillet, la coexistence de revues parisiennes et de répliques provinciales s’effrite avec l’émergence d’une véritable presse nationale, d’abord forgée par le revivalisme stricto sensu et dont L’Espérance fut le flambeau à sa naissance, en 1838, avant d’évoluer vers un évangélisme réformé « national » (et non plus séparatiste), de 1842 à 1870. Moderne et marginale à la fois, cette publication ne suscite de réponse libérale qu’en 1841 lorsqu’apparaît Le lien. À partir de cet instant naît vraiment une presse confessionnelle adaptant d’années en années son format pour arriver à la dimension tabloïd en quatre pages, avec texte sur quatre à cinq colonnes, des « rez-de-chaussée » (comportant feuilletons, historiettes ou méditations), des rubriques, des nouvelles de l’étranger reportées en page 3, des comptes-rendus de lecture, sans oublier des nécrologies, des fragments de rapports d’assemblées religieuses et, naturellement, de la publicité (pratique sans doute mais pas toujours très édifiante).
La proximité de telles maquettes avec celles des journaux politiques du temps suscita, en 1846, la création de La Voix nouvelle (fondée par le pasteur d’origine méthodiste Philippe Boucher) qui aspirait, au fond, à devenir un journal politique (et non religieux), ou si l’on veut offrant une lecture protestante de l’actualité politique. Mais, sorte de Réforme avant la lettre, ce journal ne put trouver de public et disparut en 1847 car il était trop en avance sur une vision communautariste dont personne ne voulait. En revanche, Le Signal (1879-1894) fondé et animé par le nouveau converti Eugène Réveillaud réussit le pari de mêler informations générales et activisme confessionnel, aidé en cela par la dynamique républicaine, d’abord, les premiers bruits d’anti-protestantisme, ensuite.
Jusqu’en 1868-71, fonctionne donc le triptyque Archives du Christianisme, Espérance et Lien respectivement transformées en L’Église libre (1869-1928), Le Christianisme au XIXe siècle et La Renaissance (1871-1885) appelée à devenir Le Protestant (1885-1901) et doublonnant Le Journal du protestantisme français aux existences chaotiques. Sans doute majeures, ces publications ne sont cependant pas, ou plus, en situation de monopole à l’échelle d’un protestantisme français de plus en plus divers. Luthériens (Le témoignage, 1865), méthodistes (Archives du méthodisme, 1853-1857, puis L’Évangéliste, journal du méthodisme, 1858-1939), baptistes (L’Écho de la vérité), évangéliques libres (L’Éclaireur, 1890) voire réformés libéraux sous le Second Empire (Le protestant libéral, 1864-1870) apportent d’autres éclairages et d’autres sensibilités, parfois dans une perspective seulement identitaire, parfois avec des objectifs nettement « politiques » dans l’Église. Du reste, et en ces temps où les frontières entre Politique et Religion ne sont pas toujours étanches, l’activité éditoriale de certains peut être jugée ambiguë. Sous la Seconde République, Athanase Coquerel père avait donné la main à des journaux républicains, sous la Troisième République naissante, Jules Steeg anime un périodique politique depuis Libourne. Et que dire de la Revue germanique, puis du Temps, d’un Auguste Nefftzer formé deux ans à la faculté de Strasbourg (sans achever ses études théologiques) et tenant ses lecteurs informés des développements de la pensée libérale allemande ?
Les bulletins des provinces et des paroisses
À l’inverse d’aujourd’hui où l’on suit davantage l’actualité protestante depuis sa paroisse ou sa région, éditrices de bulletins ou de périodiques le plus souvent mensuels ou bimestriels et dont on comprend aisément qu’ils soient réalisés à l’économie, au XIXe siècle, la presse religieuse locale est dynamique. Nîmes ou Strasbourg ne pouvant être considérées comme des villes « de province » dans le contexte protestant, il faut attendre 1839 avec le Catholique apostolique et non romain publié à Marennes par le pasteur Cambon pour voir naître un périodique régional, suivi par Le Réveil, journal de la vie chrétienne (Bédarieux, pasteur Massé, 1842-1849), L’écho de la Réforme (Montpellier, pasteur Grawitz, 1842-1848), La Sentinelle (Valence, pasteur Meynadier, 1844-1851), L’Observateur évangélique de l’Ouest (Poitiers, 1847). Influencés par les options théologiques de leurs animateurs (souvent seuls à la barre), ces entreprises individuelles font moins de place à la polémique qu’à l’édification ou à l’information régionale et constituent des sources irremplaçables et souvent méconnues. Au format in-2°, sur 8 pleines pages en deux colonnes, ces journaux participent, surtout à la reconstitution d’un protestantisme provincial las d’être inféodé aux métropoles et aux pasteurs-journalistes professionnels, proches des chefs de parti.
Cependant, le mouvement provincial fut entravé par l’Empire autoritaire. Sa reconstitution fut tardive mais extrêmement vigoureuse à la faveur de la réorganisation institutionnelle officieuse des synodes évangéliques (du cadre concordataire). Organes de circonscriptions synodales, de consistoriales, voire de paroisses voisinent donc – sans se faire concurrence – avec pour objectif principal de rattacher ou retenir par l’information les « disséminés », mais aussi des migrants.
Les revues thématiques et d'édification
À côté des revues et journaux d’information assez nettement identifiables, le protestantisme a généré, en une nébuleuse délicate à fixer, de multiples initiatives dans des domaines plus spécialisés que l’on peut néanmoins réduire à deux grandes familles. À noter que tous les titres indiqués ci-après existaient encore à la fin du XIXe siècle.
Une presse autonome d'œuvres[:glossary_exclude] se distinguant des comptes-rendus d’assemblées générales annuelles.
À cette catégorie appartient le Journal des Missions évangéliques (émanation de la Maison des Missions évangéliques de Paris), fondé en 1826 , doublé à partir de 1844 par le Petit messager des Missions. Plus tardive, mais de logique voisine La Chambre haute, (1870) « organe mensuel du Réveil, des réunions de prières » fut non seulement un journal populaire, édité dans le Gard mais, surtout une émanation de l’Alliance évangélique (née en 1846) qui inspira une initiative plus tardive et charentaise, cette fois, L’Étendard évangélique (1890) dont la raison d’être était, surtout, de controverse avec les catholiques. Du reste, militance et volonté d’entreprendre furent aussi partagées par La Mission intérieure (1871, Marseille) qui, comme son nom l’indique, se destinait à supporter cette œuvre d’évangélisation, récemment implantée en France sur le modèle allemand. Comme dans le cas précédent, le titre se dédoubla avec la naissance, en 1888, du Relèvement également publié à Marseille dans un format plus accessible, à moindre coût, permettant ainsi un gros tirage de 14 000 exemplaires. Il eut aussi son pendant libéral avec Le Foyer protestant édité à Nîmes à partir de 1886. D’une certaine manière et malgré son incontestable originalité, la Revue de théologie pratique et d’études sociales (bientôt nommée Revue du christianisme pratique, fondée en 1887 par Gédéon Chastand) comme expression du Christianisme social s’inscrit dans cette grande mouvance évangélisatrice dont elle partage, souvent, les moyens et presque toujours l’idéologie chrétienne. À ce titre, L’Ami de la Maison, né en 1874 à Paris, et qui se bornait à l’édification se rattache aux titres précédents lorsqu’il devient, à la naissance de la Croix-bleue (contre l’alcoolisme) son organe quasi-officiel.
Des périodiques d’édification à public nettement distingué :
Là encore, cette composante naît à l’époque du Réveil avec L’Ami de la jeunesse (1825, Paris), feuille dite « récréative » et dont le titre marque l’essentiel : le choix d’une « cible » précise de lecteurs. La plupart de ses équivalents suivirent ce choix éditorial astucieux. Ainsi, Le Magasin des Écoles du dimanche (1851, Paris), qui sera remplacé en 1888 par le Journal des Écoles du dimanche, et doublé à Nîmes par la Feuille de l’École du dimanche, L’Ami chrétien des familles (1858, Paris et Vandœuvre, réalisé par des pasteurs luthériens), appelé après 1892 à devenir le principal journal populaire protestant, La Femme (1878, Paris) dont la rédaction est assurée par des grandes dames du protestantisme (Sabatier, Siegfried, Decoppet, Puaux, Seignobos) Les causeries morales et religieuses (1885, Montauban), La Jeunesse (1888, Marseille), La Fraternité (1892, Paris), longtemps animée par Eugène Réveillaud.
Les correspondances pastorales confidentielles
L’accroissement des clivages théologiques entre pasteurs, et l’incapacité de restaurer les synodes avant 1872 (voire 1879 dans le cadre officieux), ainsi que les limites des conférences pastorales ont engendré l’apparition de bulletins de liaison extrêmement intéressants. Première en date, fut la Correspondance Frontin animée depuis Dijon par le pasteur évangélique de Frontin et qui dura jusqu’en 1843. Ce n’est qu’en 1861 que Benjamin Vaurigaud relança depuis Nantes une Correspondance évangélique qui subsista jusqu’en 1870 puis fut brièvement ravivée par le pasteur Monbrun en 1876-77.
Les libéraux, plus lents à découvrir les avantages d’un tel outil, attendirent 1839 pour inaugurer la Correspondance fraternelle communément appelée Correspondance Fontanès du nom du pasteur de Nîmes qui servait, comme on disait alors de « correspondant central ». Elle subsista jusqu’au début de 1848. Le relais fut pris, semble-t-il, par une Correspondance Cruvellié vers 1852 dans le Sud-Ouest et, avec certitude, par la Correspondance Montandon (Paris, 1853-1855). À noter qu’il n’existe en France plus aucune collection complète de ces trois bulletins qui soit accessible ; leur (re-)découverte serait un service rendu à la science et aux collections de la SHPF. Cependant, de 1885 et jusque 1935 fonctionna une Correspondance fraternelle des pasteurs libéraux qui moins polémique fut un authentique bulletin de liaison.
Enfin on doit signaler la Correspondance entre pasteurs de l’Église libre qui eut de nombreux « correspondants centraux » et fonctionna de 1847 à 1869.
Presque toujours sur « papier pelure », certaines écrites à la main (de ce fait assez peu lisibles car donnant l’impression d’être rédigées à la main), d’autres typographiées comme des véritables bulletins, ces Correspondances n’avaient pas de réelles rubriques mais se faisaient au gré des lettres reçues, puis réagencées par le correspondant central. Plus libres de ton que la presse nationale ou régionale, plus explicites aussi car diffusées entre personnes de mêmes sensibilités théologiques, elles sont très utiles aux historiens.