Les idées de Luther pénètrent à Alsace
Terre du Saint Empire Romain Germanique, l’actuelle Alsace fut atteinte, dès les années 1520, par les premiers écrits du Réformateur Martin Luther. L’importante activité des imprimeurs strasbourgeois favorables, à quelques exceptions près, à la diffusion des idées nouvelles, à travers l’édition des traités réformateurs et d’une vaste littérature de pamphlets, permit aux thèses évangéliques d’être propagées par des prédicateurs de renom comme Matthieu Zell, officiant à la cathédrale, devant des foules enthousiastes. Wolfgang Capiton, Caspar Hédion, Martin Bucer, théologiens et exégètes actifs et reconnus, consolidèrent et amplifièrent le mouvement réformateur dans le peuple artisanal et la petite bourgeoisie de la ville : Martin Bucer fut ainsi demandé comme pasteur et prédicateur de la paroisse des maraîchers, Sainte-Aurélie, dès 1524. Même si la majorité des membres du Grand Chapitre, les chapitres de Saint-Pierre-le Vieux et de Saint-Pierre-le-Jeune comme une bonne partie du clergé traditionnel se refusèrent à embrasser la Réforme, l’évêque de Strasbourg, Guillaume de Honstein ne parvint pas, malgré sa résistance, à freiner les désirs de changement.
À Strasbourg, la municipalité régit la nouvelle Église protestante
Les années 1523-1525 virent donc se produire les premiers bouleversements ; le gouvernement municipal strasbourgeois, le Magistrat, prit une part décisive dans les responsabilités traditionnellement allouées à l’Église : il légiféra sur la prédication, s’octroya le privilège d’installer des pasteurs dans les sept paroisses de la ville et endossa la responsabilité de la diaconie envers les plus pauvres.
Une révolte réprimée dans le sang
Dans ces années, une partie des communautés rurales d’Alsace ralliées à la Réforme épousèrent les revendications du mouvement du « soulier à lacet » (Bundschuh) : en effet, les Douze Articles des paysans souabes, militant en particulier pour le droit d’élire ou de déposer leurs pasteurs, séduisent une part importante de la paysannerie de Basse Alsace. Mais le mouvement fut réprimé dans le sang par le duc de Lorraine et on compta des milliers de morts aux portes de Saverne.
La messe est supprimée à Strasbourg
Après 1525, la Réforme s’installa progressivement en Églises territoriales sous la tutelle du prince local ou du Magistrat. Les années 1526-1547 furent, à Strasbourg en particulier, fastes et fructueuses pour la Réforme. En 1529, la suppression de la messe fut votée par le Magistrat appuyé par une forte demande populaire, un vent d’iconoclasme souffla qui vit disparaître momentanément les images de dévotion, provoqua quelques excès parmi le peuple des artisans, avant qu’une réflexion plus approfondie ne reconstruise peu à peu le sens liturgique et cultuel de certaines traditions iconographiques et festives (Noël férié).
À la diète d’Augsbourg, en 1530, alors que les partisans de Luther présentaient la Confession d’Augsbourg, comme la synthèse de leurs convictions, les Strasbourgeois adoptèrent une position médiane entre le symbolisme de Zwingli et la conception luthérienne de la Cène, à travers une confession de foi partagée avec trois autres villes : la Confession Tétrapolitaine. Cette position médiatrice, modérée et diaconale des réformateurs strasbourgeois resta la particularité de cette Réforme rhénane, centrée sur l’importance de la culture biblique et une piété d’intériorité, comme l’exprime l’ordonnance ecclésiastique de 1534 : l’aspect disciplinaire de la vie ecclésiale n’y est pas absent au point que la création d’ecclésioles, de communautés ferventes et confessantes fut encouragée au sein même des paroisses évangéliques, jusqu’à ce que, par peur de dissidences, le Magistrat mette un terme à cette expérience inspirée de l’Église primitive. L’Église strasbourgeoise se structura sur le plan liturgique, ecclésiastique et doctrinal : ainsi les autorités ecclésiastiques mirent-elles en place une réunion bimensuelle du corps pastoral auquel s’adjoignirent trois représentants du Magistrat (Kirchenpfleger) afin d’étudier toute question relative au ministère et à la doctrine.
Le rayonnement du protestantisme strasbourgeois
La formation du clergé protestant permit la poursuite d’une catéchèse et d’une pastorale renouvelée en qualité et, dès 1538, la création d’une Haute École (aujourd’hui le Gymnase ou lycée Jean Sturm) dirigée par l’humaniste Jean Sturm, favorisant l’éclosion de cadres pour la Basse Alsace. L’audience du protestantisme strasbourgeois est réelle : Martin Bucer rédigea l’Ordonnance ecclésiastique de Hesse en 1539 et celle de l’Électorat de Cologne dont le coutumier liturgique inspira les rédacteurs du Book of Common Prayer de l’Église d’Angleterre. De ce fait, la ville fut un lieu d’accueil, en particulier, vers 1540, pour les réfugiés huguenots : Jean Calvin y séjourna de 1538 à 1541 et sa rédaction des Ordonnances ecclésiastiques de Genève doit beaucoup à l’ecclésiologie bucérienne.
Les radicaux sont accueillis à Strasbourg puis chassés
L’échec du mouvement de paysans, en 1525, favorisa l’émergence de mouvements évangéliques radicaux et la ville devint l’un des foyers de l’anabaptisme, toléré dans un premier temps par Bucer et Capiton jusqu’en 1532, avant qu’une politique plus répressive dès 1534 ne chassât, dans les campagnes de la vallée de Munster en particulier, ce mouvement très représenté dans les milieux d’artisans.
Des Églises régies par les princes et les magistrats
Malgré l’Intérim impérial (1548), qui exigeait le retour aux traditions catholiques dans l’Empire, l’Alsace conserva l’essentiel de ses acquis évangéliques et la deuxième moitié du XVIe siècle vit l’octroi des droits épiscopaux aux princes et aux magistrats urbains, ratifié par la Paix d’Augsbourg (1555) ; ceux-ci endossaient la responsabilité de la vie temporelle et spirituelle de leurs sujets : nomination des pasteurs, visites, législations ecclésiastiques particulières, droit d’imposer leur confession.
Le luthéranisme
La fin du XVIe siècle vit la fixation d’une relative orthodoxie luthérienne sous l’impulsion de Jean Marbach, concrètement exprimée dans la Formule de Concorde de 1577.
Auteur : Annie Noblesse