La genèse d'un mouvement
La Réforme dite « radicale » naît à deux endroits différents : en Allemagne, dans le sillage de Luther, et en Suisse, dans le sillage de Zwingli, mais en réaction contre eux.
En Allemagne, un ancien prêtre devenu pasteur, Thomas Müntzer, trouve que Luther, trop timoré, s’arrête en chemin et ne va pas jusqu’au bout. Luther réforme l’Église ; il faut aussi, pense Müntzer, réformer la société, la rendre plus juste, abolir les privilèges des seigneurs, donner des droits au peuple, répartir la richesse entre tous.
Alors que Luther demande de se soumettre aux autorités sociales et politiques, Müntzer prêche la révolte. Il est entendu, et les paysans, particulièrement misérables et exploités se soulèvent. Ils seront écrasés, en 1525, à la bataille de Frankenhausen. Müntzer fait prisonnier est torturé puis exécuté. Luther appelle les seigneurs à réprimer sans pitié la révolte des paysans.
En Suisse, entre 1521 et 1524, quelques zurichois trouvent que Zwingli va trop lentement. Ils lui reprochent d’opérer une réforme progressive, par petites étapes, au lieu de trancher nettement. Par exemple, Zwingli, quand il acquiert la conviction que la messe n’est pas biblique, attend trois ans avant de l’abolir et de la remplacer par le culte. Cette lenteur répond à un souci pastoral et pédagogique. Zwingli veut expliquer, convaincre ; il ne change les choses que lorsqu’il estime les gens préparés. Par contre, certains de ses collaborateurs, groupés autour de Grebel, voudraient que les choses soient nettes, que l’on mette chacun devant des choix clairs et des décisions à prendre.
Les anabaptistes
Müntzer et Grebel ont en commun de refuser le baptême des bébés. Il faut, disent-ils, baptiser seulement des adultes convertis après une expérience spirituelle personnelle. Grebel estime nul et non avenu le baptême des enfants. On les appelle anabaptistes, car ils rebaptisent des gens qui l’ont été à la naissance. La rupture avec Zwingli se fera sur ce point.
Alors que Müntzer préconise la révolte armée, Grebel opte pour le pacifisme ; pour lui, un chrétien ne doit pas faire usage de la violence, même pour une cause juste.
Une forte persécution s’abat sur les radicaux ; on les massacre en Allemagne ; à Zurich, on les noie dans le lac avec une sentence à l’humour sinistre : ils ont pêché par l’eau, ils seront punis par l’eau. En 1523, se tient à Schleitheim, en Suisse, un synode appelé « synode des martyrs », parce que presque tous les participants seront exécutés à cause de leurs positions religieuses.
Les différents courants
Après la défaite de Müntzer et la dispersion des amis de Grebel, la réforme radicale se poursuit dans de petits groupes clandestins dont on connaît mal l’histoire. Après un épisode sanglant en 1534-1535 à Munster (qui a inspiré la pièce de Sartre Le diable et le bon Dieu), ils répudient la violence et deviennent résolument pacifistes.
Dans ces groupes, on trouve trois tendances qui souvent se combinent :
- D’abord, l’antipédobaptisme, ou refus du baptême des enfants. Luthériens et réformés veulent une église du peuple, qui ne se distingue pas de la cité. Les radicaux veulent une église de « purs » ; les fidèles doivent se séparer de la masse et rompre avec la cité terrestre, d’où le refus du baptême des enfants. Après 1535, le principal leader de cette tendance est hollandais Menno Simon (qui a donné son nom aux églises mennonites) ; elle se retrouve chez les baptistes actuels.
- Ensuite l’illuminisme ou spiritualisme qui affirme que le Saint-Esprit parle directement aux croyants, leur enseigne des doctrines, leur dicte leur conduite par des illuminations intérieures. Dans cette tendance, on rencontre des gens qui se disent prophètes. On peut voir dans les illuministes les ancêtres des pentecôtistes et des charismatiques actuels.
- Enfin, l’unitarisme ou anti-trinitarisme qui refuse le dogme de la trinité, parce qu’il l’estime non biblique. Il veut accorder la révélation et la raison, puisque l’une et l’autre procèdent de Dieu. Ici, domine la personnalité de Fausto Socin, mort en 1604, un italien installé en Pologne. Cette tendance se prolonge dans le protestantisme libéral et l’unitarisme actuels.
La réforme radicale ne veut rien garder de l’Église existante. Elle entend suivre uniquement le modèle apostolique, et recréer l’Église du Nouveau Testament en faisant table rase de l’héritage des siècles. Les luthériens et les réformés pensent que tout ce que n’interdit pas la Bible est permis. Pour les radicaux, tout ce qu’elle n’ordonne pas expressément est interdit.
Cette réforme n’a jamais réussi à gagner un territoire et à avoir un centre géographique ; elle a failli y réussir en Pologne ; elle a eu une implantation assez forte en Transylvanie (actuelle Roumanie), mais jamais n’a dominé une région. Elle est faite de petits groupes discrets, mais souvent influents, et conduite non pas par des professeurs d’université, comme la réforme magistérielle, mais par des intellectuels marginaux, errant à travers l’Europe (par exemple Servet, Marpeck, Schlatter, Joris, les deux plus connus étant M. Simon et F. Socin). Elle touche surtout des artisans (on dirait aujourd’hui des techniciens). Elle a été abominablement persécutée aussi bien par les luthériens et les réformés que par les catholiques.
Auteur : André Gounelle