Une géographie compliquée
Au début du XVIIe siècle, l’enchevêtrement des territoires donne à la carte confessionnelle de l’Alsace une grande complexité.
Au XVIe siècle, de vastes régions constituaient des territoires ecclésiastiques catholiques. Le pouvoir de l’Évêché de Strasbourg s’étendait sur la moitié du Bas-Rhin et sur certaines parties du Haut-Rhin. L’évêque de Bâle au sud, celui de Spire au nord avaient des possessions en Alsace. Le domaine des Habsbourg s’étendait sur les deux-tiers du Haut-Rhin ; les possessions des ducs de Lorraine s’étendaient également en Alsace.
Par contre, favorable à la Réforme, la maison de Wurtemberg possédait des territoires dans le Haut-Rhin, de même que les diverses branches de la maison palatine. Le cas de Strasbourg restait particulier : elle était depuis le XIIe siècle une ville libre, s’étant émancipée de la tutelle épiscopale, ne reconnaissant d’autre autorité au-dessus d’elle que celle de l’Empereur ; la ville, sous l’influence de Bucer, fut rapidement acquise au luthérianisme.
Les étapes du rattachement à la France
La guerre de Trente Ans qui domine la première moitié du XVIIe siècle, (1618-1648), s’achève par la prise de possession de la majeure partie de l’Alsace par la France. Le traité de Westaphalie (1648) qui y mit fin comporte :
- Le traité d’Osnabruck, signé entre la Suède protestante et l’Empire autrichien catholique, stipule clairement que chaque confession doit récupérer les biens et droits possédés le 1er janvier 1624.
- Le traité de Münster, signé entre la France et l’Empire, confirme la souveraineté française sur les Trois évêchés (Metz, Toul, Verdun) ainsi que sur les possessions des Habsbourg : la Haute Alsace et le langrave de Haguenau, c’est-à-dire la plus grande partie de l’Alsace, à l’exception de Strasbourg. Cependant, certains articles étaient ambigus. Le traité déclare que le roi conserve dans les régions qui lui sont cédées « la religion catholique comme elle y a été maintenue sous les princes d’Autriche et d’en bannir toutes nouveautés qui s’y sont glissées pendant la guerre », ratifiant ainsi le principe Cujus regio, ejus religio. Mais il était rappelé que ce principe ne s’appliquerait pas aux régions où la tolérance existait de fait avant 1624 : la liberté d’exercice de la religion concernant « ceux que l’on nomme Réformés » était reconnue, toute persécution était proscrite, les luthériens étaient autorisés à garder les biens écclésiastiques qu’ils possédaient avant le 1er janvier 1624.
Mais le roi de France n’était, selon les termes du traité, maître que des anciennes possessions autrichiennes à l’exception de Strasbourg et des villes libres impériales de la Décapole (Landau, Colmar, Munster, Turckheim, Kaysersberg, Sélestat, Obernai, Rosheim, Haguenau, Wissembourg) : ces dernières refusèrent le serment de fidélité au roi et même d’ouvrir leurs portes au duc de Mazarin, neveu du Cardinal et grand bailli d’Alsace. Le traité de Nimègue (1678) qui met fin à la guerre de Hollande les rattachera à la France.
A partir de 1679, Louis XIV procède habilement. Rappelant que les traités de Westphalie ont cédé à la France des territoires et des villes « avec leurs dépendances », la politique dite des « réunions » rattache à la couronne la principauté de Montbéliard (possessions des ducs de Wurtemberg), les territoires de Germescheim et Lauterbourg, le duché des deux-Ponts, Forbach, et d’autres places de la Sarre. Plus spectaculaire, sans tirer un coup de canon, en septembre 1681 Strasbourg capitule, par surprise et en pleine paix, dans les mains de Louvois. La réunion définitive de l’Alsace à la France (à l’exception de Mulhouse rattachée en 1798), précède de peu la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, limitant l’avenir du protestantisme en Alsace.
Le traité de Ryswick (1697) qui met fin à la ligue d’Augsbourg marque un arrêt de la politique impérialiste de Louis XIV, obligé de rendre à l’Empire toutes les têtes de pont que la France avait sur la rive droite du Rhin.
Une politique coercitive
Bien que lors de la capitulation de Strasbourg, Louvois, ministre de la guerre et chargé des affaires d’Alsace, ait concédé le maintien des droits des protestants comme admis par le traité de Munster, la réouverture du culte catholique à la cathédrale de Strasbourg, en présence de Louis XIV montra aux habitants que leur ville avait cessé d’être une citadelle protestante. La compagnie de Jésus fut chargée de créer un séminaire pour le futur clergé de la province et bientôt un collège pour toute la jeunesse laïque.
Des mesures plus restrictives ne se firent pas attendre. On peut citer l’interdiction de l’exercice de la religion luthérienne ou calviniste dans les communes où des catholiques, même en petit nombre, se seraient déclarés ; la liberté totale donnée à la propagande catholique diffusée par les jésuites et les capucins ; les punitions sévères contre toute offense à la religion catholique, tous ces interdits pouvant aller jusqu’à la confiscation des biens ou au bannissement.
De nombreux avantages sont donnés aux nouveaux convertis, et l’installation de catholiques venant d’autres régions est encouragée. Dans beaucoup d’églises protestantes, le partage ou « simultaneum » est rendu obligatoire, et à Strasbourg la tentative d’imposer le simultaneum aux deux des principales églises luthériennes, Saint Thomas et Saint Guillaume faillit réussir. Enfin, dans les villes libres entièrement protestantes ou à population mixte, les conseils devaient comprendre un nombre égal de catholiques et de protestants, même si les premiers étaient en faible proportion. Le nombre de convertis au catholicisme est difficile à évaluer, et en 1697 on comptait approximativement 5 000 catholiques et 21 000 protestants.
Mais à la fin du XVIIe siècle, cette politique coercitive s’atténua, surtout après la mort de Louvois en 1692.