Une province à ménager
La politique coercitive menée contre les protestants s’était atténuée à la fin du XVIIe siècle. Par le traité de Ryswick (1698), qui met fin à la désastreuse guerre de la « ligue d’Augsbourg », la France abandonne une partie des conquêtes antérieures, à l’exception de Strasbourg, et confirme les libertés accordées théoriquement en 1648. Mais plus tard, les traités d’Utrecht (1713) et de Rastadt (1714) après les victoires obtenues – tardivement- par la France, mettent fin à la guerre de succession d’Espagne et confirment à la France la possession de la totalité de l’Alsace.
L’idée se répandit alors qu’il fallait cesser d’inquiéter cette terre frontalière exposée aux conflits potentiels. Des consignes de modération furent diffusées par le duc d’Orléans, régent après la mort de Louis XIV, et si Louis XV, à sa majorité, déclara son intention de maintenir l’Édit de Fontainebleau (révocation de l’Édit de Nantes), l’Alsace n’était pas concernée, sa liberté étant garantie par les traités internationaux antérieurs. De plus, l’émigration, sans paiement de la forte taxe habituelle, fut autorisée.
Une tolérance envers la communauté protestante
A partir de 1727, un véritable statut fut accordé à la communauté protestante. Un point particulier mérite d’être souligné : comme pour le clergé catholique, tous les ministres du culte devaient être de nationalité française, ce qui ne manqua pas de créer des difficultés aux protestants, dont de nombreux pasteurs venaient des territoires de l’Empire ; l’orientation vers la carrière pastorale fut donc vivement encouragée dans de nombreuses familles protestantes, ce qui eut comme heureux résultat de rapprocher la population de ses nouveaux pasteurs aux racine locales.
Si « respect et déférence » étaient demandés aux protestants vis-à-vis de la religion du roi, ce dernier les tolérait. Naturellement, cet esprit de conciliation du gouvernement ne fut pas toujours respecté par les autorités locales, en particulier en ce qui concerne l’appartenance confessionnelle des enfants des nouveaux convertis ou encore l’application de la règle du simultaneum, source de nombreux conflits locaux. Mais le duc de Choiseul écrivait en 1762 que « l’intention de Sa Majesté est que tous ses sujets indistinctement soient traités avec justice et humanité ». L’interdiction de l’ordre des jésuites en 1764 rassura la communauté protestante. Par ailleurs, les Alsaciens apprécièrent la prospérité économique induite par les réformes du pouvoir central, dont témoigne la construction des grands bâtiments administratifs, celle du palais des Rohan, celle du chapitre Sain -Thomas.
Le maréchal de Saxe
L’enterrement à Strasbourg du maréchal de Saxe (1696-1750) témoigne de ces améliorations. Militaire glorieux, le maréchal était toujours resté luthérien : aucune église catholique ne pouvait recevoir sa dépouille et il n’y avait plus en France de temples protestants officiels. Comme il y avait en Alsace des églises maintenues luthériennes, la cour leur demanda de rendre au roi le service d’organiser les obsèques du maréchal. Le 8 février 1751, un cortège superbe accompagna la dépouille au Temple-Neuf de Strasbourg, où la cérémonie réunit toutes les autorités, civiles et militaires : l’émotion fut grande, le culte protestant devenait un culte reconnu. La fusion complète de l’Alsace à la France progressait : quand en 1773 les cendres du maréchal de Saxe furent transférées à l’église luthérienne Saint-Thomas de Strasbourg, Louis XV lui fit ériger par Pigalle un splendide mausolée, et la cérémonie fut célébrée entièrement en français.