Les anciens cimetières protestants de Bordeaux
En 1563, un arrêt du Parlement de Bordeaux interdit les enterrements des hérétiques dans les cimetières paroissiaux catholiques : un marchand et bourgeois de la ville, Jean de La Novère, offre à la toute jeune communauté protestante un terrain situé aux limites sud de la cité (actuelles rues Villedieu et Tannesse) pour servir de lieu d’inhumation aux fidèles.
Lors de la révocation de l’Édit de Nantes (1685), le cimetière est détruit et les pierres tombales confisquées pour servir à l’édification de la chapelle de l’hôpital de la Manufacture. Dès lors, les « nouveaux convertis » qui refusent l’inhumation catholique n’ont d’autre choix que d’enterrer leurs morts dans les jardins, les caves ou les fossés de la ville.
En 1726 cependant, un arrêt du Conseil du roi accorde aux protestants étrangers résidant dans des villes portuaires le droit de posséder un cimetière. Les Hollandais de Bordeaux ouvrent le leur (rue Pomme d’or aux Chartrons) en 1751 : des protestants français s’y faisant secrètement inhumés, ce cimetière est rapidement saturé.
En 1769, les protestants allemands créent leur cimetière (situé entre les cours Saint-Louis, Balguerie-Stuttenberg et Journu-Auber). Connu sous le nom de « cimetière des étrangers », il reste en fonction jusqu’en 1886. Lors de sa démolition dans les années 1960, les monuments funéraires subsistant ont été transférés dans l’actuel cimetière de la rue Judaïque ou au Musée d’Aquitaine.
Profitant de l’apaisement des persécutions, les protestants français ouvrent à leur tour un cimetière en 1779, dans le sud de la ville (actuelle rue Giner de Los Rios). Pour des raisons d’hygiène publique, le lieu, saturé et rattrapé par l’urbanisation, est fermé en 1826.
La création du cimetière de la rue Judaïque
Conformément à la législation napoléonienne, un nouveau cimetière est créé à l’écart des habitations, sur la commune de Caudéran. Rapidement aménagé, le terrain reçoit la première inhumation en mars 1827. Agrandi en 1867, le cimetière est complété par la construction d’une petite chapelle en 1910.
Le cimetière est le reflet de la communauté protestante bordelaise, cosmopolite et diversifiée : réformés, luthériens, anglicans, libristes… et catholiques inhumés là en raison de leur mariage avec un conjoint protestant.
Les tombes sont en général d’une décoration dépouillée, construites en matériaux sobres ; les épitaphes bibliques sont en revanche très fréquentes. Mais le cimetière présente aussi des monuments de grande taille : chapelles de style néo-gothique (famille Barton) ou victorien (famille Johnston), pyramide et obélisque, mausolées pour les notables du commerce maritime et colonial tels Pierre Balguerie-Stuttenberg (1778-1825) et Jean-Jacques Bosc (1757-1840), ou pour le baron Pierre Portal, ministre du commerce et des colonies sous la Restauration.
La longue liste des personnalités inhumées témoigne de l’importance économique, sociale et politique du protestantisme bordelais : dynasties du négoce souvent d’origine étrangère (Bethmann, Brown, Cruse, de Luze, Schÿler…), les cinq maires protestants de la ville au XIXe siècle, députés de la Gironde… Là sont inhumés également l’historien Camille Jullian (1895-1933), le fondateur de la Ligue des droits de l’homme Ludovic Trarieux (1840-1904), la résistante Manon Cormier (1896-1945), Édith Cérézuelle (1910-1973), « Juste parmi les nations », ainsi que l’Allemand Henri Salmide qui empêcha la destruction du port de Bordeaux à la Libération.
Mais les deux personnalités phares du cimetière sont Hortense Schneider (1833-1920), ancienne élève des écoles protestantes de Bordeaux, interprète favorite d’Offenbach, qui repose dans un sarcophage en forme de reliquaire médiéval, et le clown Chocolat, né Rafael Padilla (1868-1917), star « exotique » de la Belle Époque, dont la mémoire redécouverte a été honorée par la pose d’une plaque commémorative sur l’un des murs du cimetière en février 2016.