Les débuts du mouvement prophétique
En 1688, dans le Dauphiné surgit un mouvement original dans le protestantisme : le prophétisme. Une jeune bergère, Isabeau Vincent, originaire de Saou, près de Crest (Drôme), parle en dormant, d’abord en patois, puis en français. Son discours est une suite de versets ou de fragments bibliques parfaitement adaptés aux circonstances et qui s’enchaînent les uns aux autres : « Tenez ferme – cherchez la Parole, vous la trouverez par la repentance ».
Des foules accourent pour l’écouter. Rapidement elle est arrêtée, mise en prison à Crest puis enfermée dans un couvent. Mais le mouvement des « petits prophètes » se poursuit, et se répand en Vivarais en 1689. À l’appel des inspirés se multiplient les assemblées sans précaution. Une impitoyable répression les balaie.
L'expression prophétique
Les prophètes sont dans leur grande majorité des jeunes gens, filles et garçons. Ce sont des gens du peuple, la plupart illettrés et ne parlant que patois. D’où l’étonnement de les entendre prophétiser en français même si celui-ci est un peu approximatif. On peut l’expliquer par une fréquentation assidue du texte biblique en français et une excellente mémoire orale.
Que disent ces prophètes : « Repentez-vous, n’allez plus à la messe, renoncez à l’idolâtrie ». Repentez-vous de l’abjuration massive de 1685 ; Ne continuez pas à faire semblant d’être catholiques, car la « ruine de Babylone » (la fin de l’Église catholique) est proche. Cette prophétie est nourrie d’un texte de Pierre Jurieu, publié en 1686, « l’accomplissement des prophéties » qui annonce la délivrance des fidèles dans un délai de trois ans.
Cette parole véhémente est accompagnée d’une gestuelle stupéfiante : les prophètes gémissent, sanglotent, frémissent, tremblent de tous leurs membres, tombent à la renverse et restent au sol comme inanimés pendant quelques minutes.
Ce comportement déconcertant attire une réprobation presque générale.
La réprobation des protestants et des catholiques
Non seulement les catholiques, mais les protestants du Refuge se sont unis dans la réprobation : qui sont ces gens du peuple qui osent se piquer de religion ? Ils sont traités d’imposteurs, de simulateurs, de comédiens, de fous, de malades. À la Tour de Constance d’Aigues-Mortes où sont emprisonnées bon nombre de femmes inspirées, le médecin, envoyé par l’intendant Basville, passe tous les jours pour examiner ces « malades ».
Certains propagent l’idée une « fabrique de prophètes » où l’on entraînerait des enfants à la simulation. Les prophètes sont traités de « chiens » ou « de loups », mais l’appellation la plus fréquente est celle de « fanatiques ». Les pasteurs du Refuge, à l’exception notable de Pierre Jurieu, traitent avec mépris et dédain ces « petits prophètes ».
La guerre des camisards
Les terribles persécutions avaient fait taire les petits prophètes du Vivarais mais, dix ans plus tard, après la mort de Claude Brousson en 1698 et la disparition des derniers prédicants, le mouvement ressurgit et embrase les Cévennes et le Languedoc.
Interprétant un songe « de grands bœufs noirs qui mangent les choux du jardin », comme un appel à chasser les ecclésiastiques romains persécuteurs, le prophète Abraham Mazel déclenche, avec le meurtre de l’abbé du Chayla, la guerre des camisards. C’est une guerre « sainte » où les prophètes jouent un rôle important : en fonction des inspirations qu’ils reçoivent, les insurgés attaquent ou se replient, exécutent leurs adversaires ou leur font grâce.
La fin du prophétisme
Après la fin de la guerre des camisards, quelques prophètes sont encore à l’œuvre en Cévennes.
Au synode des Montèzes en 1715, Antoine Court réorganise les Églises réformées dans la clandestinité et en rétablit la discipline.
Le camisard et prophète Elie Marion, réfugié en Angleterre, essaye de répandre le mouvement prophétique. Il parcourt l’Europe mais ne rencontre guère d’écho sauf chez certains piétistes allemands.