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Le protestantisme
dans les pays nordiques

Au début du XVIe siècle la Scandinavie comprend les royaumes de Danemark-Norvège et celui de Suède-Finlande. Ils sont unis dans une fragile confédération (l’Union de Kalmar), qui s’écroulera sous l’impact de la Réforme : le luthéranisme s’impose rapidement et devient religion dominante. Il favorise la constitution d’Églises nationales soumises à l’État, et l’individualisation des langues nationales. Actuellement, la culture luthérienne, sinon la fréquentation des églises, marque encore profondément ces pays.

Danemark

Hans Tausen
Hans Tausen © Collection privée

Le luthéranisme, introduit par Hans Tausen (1494-1561), ancien moine qui avait été étudiant de Luther à Wittenberg, s’implante à partir de 1523 sous le règne de Frédéric 1er (1523-1533) : la Diète d’Odense proclame la liberté religieuse et politique vis-à-vis de Rome. En 1530 une confession de foi explicitement luthérienne (affirmant la justification par la foi) est adoptée par le Roi (Confessio Hafniensis). Mais c’est sous le règne de son fils, le roi Christian III (1534-1559) que la Réforme luthérienne, imposée autoritairement par le roi, devient la religion nationale du Danemark. En 1537 (Diète de Copenhague) une liturgie nouvelle en danois remplace l’ancienne ; les évêques catholiques qui refusent de se convertir sont déposés et remplacés par d’autres choisis par Johannes Bugenhagen (1485-1558), ami de Luther, pasteur à Wittemberg et principal organisateur des premières Églises luthériennes dans les pays du Nord. Les couvents et biens des églises catholiques sont redistribués dans l’Église luthérienne qui met en place une organisation synodale. Un consistoire assure les liens entre les dirigeants de l’Église et le pouvoir royal. L’université de Copenhague devient luthérienne. La Bible est traduite en Danois en 1550.Le protestantisme officiel, comme dans les autres pays scandinaves, se conforme au modèle allemand d’un État territorial protestant sous le contrôle du prince.

En 1559 commence le règne de Frédéric II : roi conservateur, il mène une politique restrictive vis-à-vis des protestantismes qui ne sont pas de stricte obédience luthérienne, et s’oppose à la venue au Danemark des réfugiés réformés des Pays-Bas espagnols persécutés par le duc d’Albe. Le royaume reste fidèle à la Confession d’Augsbourg, et sera en grande partie épargné par les controverses qui déchirent le monde luthérien en Allemagne du fait de la progression d’un protestantisme réformé.

Christian IV (1588-1648) succède à son père en 1596. Autoritaire, il maintient une stricte orthodoxie luthérienne. Les activités des jésuites dans le cadre de la Contre-Réforme sont interdites, les prêtres catholiques sont bannis du royaume.

Mais l’engagement de Christian IV dans la guerre de Trente Ans aux côtés des protestants allemands s’avère un échec, laissant la Suède devenir la principale puissance scandinave.

Au XVIIIe siècle, les mouvements piétistes pénètrent au Danemark, sans déstabiliser pour autant l’orthodoxie luthérienne jugée trop intellectuelle. Si la deuxième partie du XVIIIe est marquée par une influence du rationalisme (qui favorise l’établissement d’enseignements scientifiques très avancés), ce dernier décline au début du XIXe siècle. Les mouvements de réveil vont alors exercer leur influence, critiquant les liens entre l’Église luthérienne et l’État : c’est en 1849 que la Constitution assure la liberté religieuse.

Les liens sont étroits entre l’Église et l’État. La Constitution établit que l’Église Évangélique Luthérienne est l’Église nationale du Danemark. Le Parlement en est l’autorité législative, le Ministre des Affaires ecclésiastiques, l’autorité administrative. Le soutien moral de l’État vis-à-vis de l’Église s’exprime par le fait que le monarque doit être membre de cette Église.

En 2005, sur les 5,3 millions de Danois, 85 % sont chrétiens. Parmi ceux-ci 4,5 millions appartiennent à l’Église évangélique luthérienne. les autres protestants, notamment les baptistes, sont actifs mais restent très minoritaires. Le catholicisme représente moins de 1% de la population. La progression d’une population multiculturelle implique pour les Églises de repenser leur rôle.

Parmi les grandes figures du protestantisme danois, il faut citer celle du brillant astronome Tycho Brahé (1546-1601), des écrivains Andersen, Karen Blixen et naturellement celle du philosophe Soren Kirkegaard (1813-1855).

Voir le site de l’Église luthérienne évangélique danoise (Folkekirkens mellemkirkelige Råd)

Norvège

Edouard Grieg
Edouard Grieg

La domination danoise impose le luthéranisme dès 1537, en vertu du principe Cujus regio, ejus religio. Comme au Danemark, les activités catholiques sont proscrites, la langue danoise remplace le latin et devient la langue liturgique. Mais ces changements sont mal reçus par les couches pauvres de la population, qui restent encore attachées à certaines traditions catholiques jusqu’au début du XVIIe siècle. De ce fait, le luthéranisme s’implantera de manière plus progressive et prudente qu’au Danemark, d’autant que si certains évêques catholiques sont emprisonnés, beaucoup d’entre eux deviennent luthériens. En 1683 fut décidée la confiscation des biens des habitants restés fidèles au catholicisme.

La Constitution de 1814 qui marque la séparation avec le Danemark et l’union avec la Suède réaffirme que le luthéranisme est la religion du Royaume de Norvège. Pendant le siècle de l’union Suède-Norvège (jusqu’en 1905), la vie et la structure de l’Église de Norvège est celle de l’ Église luthérienne suédoise, l’administration restant dans la nouvelle capitale Christiana, actuellement Oslo.

Jusqu’en 1845, seule l’Église luthérienne est autorisée, avec persistance du système épiscopal. L’Université d’Oslo est créée en 1813, avec des facultés de théologie à côté de celles de droit, médecine, philosophie. Mais l’influence des mouvements de réveil a un plus grand impact qu’au Danemark. La liberté religieuse est assez facilement acquise, favorisant l’établissement d’Églises méthodistes, baptistes, adventistes, pentecôtistes.

En 1981, le Parlement confirme le statut d’Église d’État de l’Eglise de Norvège, avec à sa tête le roi : il exerce son autorité à travers le Conseil d’État, ou plus précisément à travers ceux de ses membres qui sont baptisés comme membres de l’Église. L’Église est donc dirigée non pas comme un État séculier, mais par un Chef d’ État qui est lié à la foi luthérienne. Les lois concernant l’Église passent par le Parlement dont la grande majorité des membres sont membres de l’ Église de Norvège. Les fonctions administratives sont gérées par le «Royal Ministry of Culture and Church Affairs».

En 2002, le rapport «the same church-a next church structure» propose une évolution pragmatique vers un allègement des liens étroits entre État et Église, dont la structure épiscopale et synodale est préservée.

Sur les 4,5 millions de Norvégiens, 94% sont chrétiens et 85% sont membres de l’Église de Norvège.

Parmi les grandes figures du protestantisme norvégien, il faut citer celle du dramaturge Ibsen (1828-1906) et celle du compositeur Grieg (1848-1907).

Voir le site de l’Église norvégienne (Den Norske Kirke)

Suède

Timbre représentant Claus Petri (1493-1552), réformateur suédois
Timbre représentant Claus Petri (1493-1552), réformateur suédois © Collection privée
Gustave Adolphe II
Gustave Adolphe II © S.H.P.F.
Maréchal Bernadotte, devenu Charles XIV de Suède, timbre
Maréchal Bernadotte, devenu Charles XIV de Suède, timbre
Timbre : Nathan Soderblom (1866-1931), unificateur des Églises chrétiennes
Timbre : Nathan Soderblom (1866-1931), unificateur des Églises chrétiennes © Collection privée

En 1523, Gustave Vasa (1496-1560) chasse les Danois de Suède. Élu roi, en tant que héros de l’indépendance, il cherche à rompre les liens avec la papauté et à s’affranchir de la puissance économique de l’Église.

Il s’appuie sur les frères Petri, disciples de Luther, pour introduire la Réforme en Suède.

Dès 1527, la diète de Vasterâs déclare que « la parole de Dieu doit être prêchée dans sa pureté dans tout le royaume ». C’est la naissance de l’Église nationale suédoise. Les biens de l’Église, qui représentent plus de 20% des richesses foncières du pays, sont confisqués, ce qui permettra à Gustave Vasa de donner une solide assise financière à la Couronne. Mais la participation populaire à cette réforme d’origine princière reste faible, et la politique royale devient prudente, hésitante, les risques que présente une association trop étroite avec les réformateurs pouvant dépasser les bénéfices éventuels. De plus, les tendances plus radicales des mouvements évangéliques en Allemagne inquiètent le roi : il se sépare de ses conseillers réformateurs.

Mais progressivement la situation se modifie : d’une part, la Réforme est officiellement adoptée dans les pays voisins , Danemark et Norvège, d’autre part la révolte paysanne dans le sud du pays est soutenue par les prêtres catholiques. Ces faits conduisent le roi à la rupture avec l’Église catholique en 1529. L’Église est officiellement luthérienne et organisée selon le modèle synodal et consistorial mais elle conserve une grande partie des traditions romaines. A la différence de celle du Danemark, cette Église n’est liée à l’État ni dans les textes, ni dans les pratiques : l’Église suédoise est semi-indépendante, elle continue d’être dirigée par l’archevêque d’ Uppsala et ne reconnaît les droits du souverain que pour les questions séculières.

Une tentative de réconciliation avec le catholicisme sous le règne de Jean III (1569-1592) dont la femme, sœur du roi de Pologne, est catholique, est un échec. Son frère, le duc Charles, proclamé roi en 1604, réunit à Uppsala un synode qui en 1593 tranche définitivement en faveur de la Confession d’Augsbourg.

Sous le règne de Gustave II Adolphe (1611-1632), l’Église suédoise se développe : la confession d’Augsbourg doit être strictement respectée, et aucune autre religion n’est tolérée. Avec l’entrée de la Suède dans la guerre de Trente Ans, Gustave II Adolphe devient le champion du luthéranisme contre la maison d’Autriche. Par ailleurs, ayant conquis de nombreux territoires sur la Russie, le Danemark et la Pologne, la Suède est la maîtresse absolue de la Baltique. La fille de Gustave II Adolphe, la reine Christine, qui lui succède, est très curieuse de toutes les avancées de la connaissance (elle fait venir Descartes à la cour de Suède) ; théologienne, elle veut revenir au catholicisme, et pour ce faire abdique la couronne.

Le XVIIIe siècle est marqué par les nombreuses guerres, en particulier celles contre la Russie, et malgré le talent militaire de Charles XII (1697-1718), la Suède, défaite par Pierre le Grand, est dépouillée de toutes les conquêtes antérieures. Le pouvoir royal est affaibli au profit du Parlement. Les influences piétistes, venues d’Allemagne, menacent l’unité religieuse ; elles sont illustrées par Emmanuel Swedenborg (1688-1772) qui crée « la Nouvelle Église » ; ces tendances seront énergiquement combattues par les autorités, qui interdisent toute réunion privée à caractère religieux.

La Constitution de 1809 fait obligation au roi et aux membres du gouvernement d’appartenir à l’Église de Suède. En 1805 le roi Charles XIII n’ayant pas d’enfant choisit comme prince héritier un maréchal de Napoléon, Bernadotte.Couronné roi en 1818 sous le nom de Charles XIV, Bernadotte se plie aux exigences de son nouveau pays et abjure le catholicisme. Le XIXe siècle est celui de la progression de la démocratie, et du point de vue religieux celui des mouvements du Réveil luthérien, pouvant aller jusqu’à la constitution d’Églises libres (méthodistes, baptistes, etc.).

Au début du XXe siècle, la Suède devient un champion de l’œcuménisme naissant. L’archevêque d’Uppsala, Nathan Söderblom (1866-1931), prix Nobel de la Paix en 1930, en fut l’un des remarquables artisans, créant notamment la commission internationale « Vie et Action », dont l’assemblée constitutive se tint à Stockholm en 1925 .

Parmi toutes les nombreuses personnalités luthériennes suédoises, on peut rappeler la figure du second secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld (1905-1961), ainsi que celle du diplomate Raoul Wallenberg (1912-1947) qui sauva des milliers de juifs à Budapest en 1944.

L’Église de Suède actuelle est administrée par un synode général, les évêques sont nommés par le gouvernement sur proposition du synode, l’archevêque d’Uppsala étant « primus inter pares ». Depuis 2000, elle n’est plus une Église établie mais une « communauté de foi ». Actuellement, 7,2 millions de personnes soit environ 80% des Suédois appartiennent à l’Église de Suède, mais la déchristianisation est importante, et on estime que seuls 2% sont pratiquants. Pourtant 90% de ses membres sont enterrés religieusement. L’Église de Suède est engagée dans les actions diaconales et de mission dans le monde. La communauté protestante de Suède compte aussi quelques Églises luthériennes étrangères, une Église réformée de 63 000 membres et des évangéliques.

Voir le site de l’Église suédoise (Svenska kyrkan)

Finlande

Cathédrale luthérienne d'Helsinki (Finlande)
Cathédrale luthérienne d'Helsinki (Finlande) © A. Lecus

Dans cette possession du royaume de Suède, le luthéranisme s’impose pacifiquement dès le milieu du XVIe siècle. L’évêque Michel Agricola, traduisant la Bible, est le créateur de la langue finnoise. Ce luthéranisme respectera la plupart des traditions catholiques, y compris la mariologie et le purgatoire : la création de cette Église nationale luthérienne se fera ainsi sans déchirure brutale. Après l’annexion russe (1809), des mouvements religieux populaires manifestèrent souvent des tendances extatiques, avec un risque de séparatisme. Depuis 1869, l’Église évangélique luthérienne de Finlande n’est plus une Église d’État, mais une Église établie.

Contrairement à la presque totalité des Églises luthériennes d’Europe, elle n’a pas signé la Concorde de Leuenberg de 1973, qui affirme la pleine communion des Églises luthériennes, réformées et unies.

4,4 millions de personnes, soit 84%des Finlandais, font partie de l’Église évangélique luthérienne de Finlande.

Pays Baltes

Philipp-Jakob Spener (1635-1705) pasteur initiateur du piétisme
Philipp-Jakob Spener (1635-1705) pasteur initiateur du piétisme © Fondation St Thomas Strasbourg

Après la décomposition de l’ordre Teutonique en Livonie en 1561, le luthéranisme devient la religion officielle de l’Estonie annexée par la Suède, ainsi que du duché autonome de Courlande. La période russe (1721) entraîna de nombreuses tensions entre protestants et orthodoxes, et, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les pasteurs d’Estonie sont de descendance allemande. Le piétisme et les Frères Moraves eurent une grande influence au XIXe siècle.

Après des siècles de domination danoise, suédoise, allemande ou russe, l’Estonie comme les deux autres États baltes devient indépendante en 1918. La vie religieuse est particulièrement difficile lorsque les trois États sont incorporés dans l’Union soviétique entre 1940 et 1990, avec une période d’occupation par les allemands pendant la 2e guerre mondiale.

En 2005, les chrétiens d’Estonie représentent 63% de la population : 230 000 protestants, appartenant majoritairement à l’Église évangélique luthérienne estonienne, 220 000 orthodoxes et très peu de catholiques.

En Lituanie, liée à la Pologne catholique, des paroisses luthériennes se forment à partir de la Prusse. Mais la Contre – Réforme fait basculer la Lituanie vers le catholicisme. Sur 3,7 millions d’habitants, le catholicisme reste très majoritaire (80%), le protestantisme marginal (1%).

En Lettonie, le luthéranisme est introduit en 1558, l’ouest du pays restant catholique. Le pays passe sous la souveraineté polonaise en 1561, mais l’importance de l’immigration allemande luthérienne lui confère une certaine autonomie, en particulier religieuse. La Lettonie passe sous domination russe en 1721, et après une période d’indépendance entre les deux guerres mondiales, elle est à nouveau sous domination soviétique, qui favorise une immigration venant de tous les pays de l’URSS, les russophones représentant 30% de la population. (10%)

Les chrétiens représentent 67 % de la population : 720 000 orthodoxes, 435 000 catholiques et 280 000 protestants. La principale Église protestante est l’Église évangélique luthérienne de Lettonie.

Bibliographie

  • Livres
    • MILLER John, L’Europe protestante aux XVIe et XVIIe siècles, Belin-De Boeck, 1997
    • MOURIQUAND Jacques et PIVOT Laurence, L’Europe des protestants de 1520 à nos jours, Jean-Claude Lattès, 1993

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