Du réformateur dauphinois Guillaume Farel aux quatre premières guerres de religion (1522-1573)
Comprendre les débuts et les progrès de la Réforme protestante en Dauphiné c’est d’abord suivre les idées de Luther qui se diffusent, grâce à l’imprimerie, dans les villes. À Grenoble, capitale du Dauphiné, dès 1523, quelques moines prêchent ses idées .
C’est également suivre les voyages du réformateur Guillaume Farel (1489-1565), grand ami de Calvin, dans sa province natale. En 1522, il convertit Noble Ennemond de Coct. En 1532, il joue un rôle important au synode de Chanforan où les Vaudois, disciples de Pierre Valdo au XIIe siècle, se rallient à la Réforme. En 1561, Farel se rend dans les églises de Grenoble et de Gap, emmenant pasteur et régent (maître d’école), puis préside le synode de Montélimar.
En ville, la réforme touche toutes les classes sociales, des moines, des gens de loi, des artisans et des marchands, des nobles, ceux qui lisent. Le mouvement se répand dans l’arrière-pays montagnard par la suite. En 1561, une quarantaine d’Églises est plantée et dressée sur le modèle de Genève : 10 à 20% de la population se convertit aux idées de Jean Calvin, réformateur français réfugié à Genève.
La violence en Dauphiné commence en avril 1562. Le lieutenant du roi, La Motte-Gondrin, est massacré et pendu par les « huguenots » du baron des Adrets le 25 avril 1562 à Valence. Celui-ci sème la terreur entre la vallée du Rhône, Grenoble et Grande Chartreuse, entre avril et juin 1562. D’autre part, trois vagues d’iconoclasme touchent le Dauphiné en 1560, 1562, 1567, notamment dans une dizaine de villes de la province, mais également dans les églises de campagne, comme en Haut-Oisans. Ces violences divisent le parti protestant. Grenoble est huguenot durant quelques mois à partir d’avril 1563 ; le faubourg sud-est, dit Très-Cloîtres, est alors le lieu d’implantation du premier temple. Gap connaît trois périodes de domination huguenote.
Lors de la Saint-Barthélemy fin août et septembre 1572, le Dauphiné est préservé de la violence : le lieutenant du roi, le baron Bertrand Simiane de Gordes applique l’édit de Saint-Germain, avec l’accord du parlement, et non l’ordre du roi. Mais un premier mouvement d’exil et de conversion au catholicisme est notable tant à Grenoble qu’en Oisans. Le Dauphiné donne de nombreux représentants à l’Union des provinces de 1573, comme tout le Languedoc.
L'époque de Lesdiguières (1575-1622)
François de Bonne, duc de Lesdiguières, naît à Saint-Bonnet-en-Champsaur. Il prend la succession en 1575 du chef de guerre Charles Dupuy de Montbrun. Pendant les guerres de religion, il est le « renard des Alpes », aguerri dans la petite guerre mobile et rapide des embuscades en montagne. À partir du Haut-Dauphiné, bastion fortifié huguenot, il conquiert Grenoble, le 22 décembre 1590, après plusieurs tentatives.
Fidèle au roi, il devient l’un de ses commissaires pour l’application de l’édit de Nantes : il veut alors le « désarmement des consciences » et surtout l’obéissance au roi. Il continue les guerres contre la Savoie. Son protestantisme est moins affirmé : s’il aide les réformés, paye des régents et des pasteurs, entre son château de Vizille et de Montélimar, il soutient également les catholiques dans leur Contre-Réforme. En 1621,il participe au siège de Montauban contre les protestants auprès du roi Louis XIII. Le 24 juillet 1622, à Grenoble, Lesdiguières se convertit au catholicisme ; les faveurs royales sont alors nombreuses : il devient le dernier connétable de France. Il meurt le 8 septembre 1626 à Valence.
Les protestants sous l'édit de Nantes (1599-1679)
Les protestants en Dauphiné restent fidèles au roi et ne participent pas aux révoltes de 1621-1625. Le Dauphiné sous l’édit de Nantes voit la concentration de fiefs huguenots. Il rassemble 90 églises, 270 annexes, 73.000 protestants ; on en dénombre 40.000 dans la vallée de la Drôme, 12.000 en Trièves, 10.000 dans les Hautes-Alpes, 11.000 dans le val Cluson ou 10% de Dauphinois et 8% de Huguenots du royaume. La province possède 12 places de sûreté jusqu’en 1629 mais la huguenoterie dauphinoise reste fidèle au roi. La Chambre de l’édit à Grenoble constitue la grande originalité locale : elle juge jusqu’en 1679 les protestants de toute la partie orientale du royaume, avec près de 300 actes par an.
Le système dit « presbytérien-synodal » se met en place avec un consistoire pour chaque église, formé de pasteurs et de laïcs, les « anciens ». Dans chaque église, on trouve une école pour que les enfants puissent lire la Bible et chanter les cantiques. Chaque consistoire envoie une fois par an un ancien et un pasteur au synode provincial, qui, à son tour, envoie des délégués au synode national.
Mens en Trièves avec 1 000 fidèles est, dit-on, la « petite Genève des Alpes ». Die, avec 4 000 fidèles, une académie et des presses protestantes, constitue également une importante place protestante. Gap a également une forte minorité huguenote. L’ardeur financière et religieuse semble cependant s’atténuer au cours du XVIIe siècle.
Vers la révocation de l’édit de Nantes et l’exil (1679-1685)
À partir de 1679, l’édit de Nantes est appliqué « à la rigueur ». Les conflits sont récurrents : les réformés sont exclus des consulats, la chambre de l’Édit est supprimée, les conversions sont vivement encouragées. Une cinquantaine de temples sont détruits entre 1681 et 1685. Au cours de l’été 1683, les réformés de Châteaudouble, de Crest et de Bourdeaux se regroupent au « camp de l’Éternel » dans la montagne entre Saou et Bourdeaux. La répression est terrible : on compte 200 victimes.
Les dragons interviennent à partir de 1681. Les conversions se multiplient. Deux évêques se distinguent : Daniel de Cosnac, évêque de Die et de Valence, encourage les dragons en vue de convertir toutes les communautés ; Étienne Le Camus, dit « évêque des montagnes » à Grenoble, se montre adepte d’une conversion moins coercitive et obtient le départ des dragons.
En 1685, avec la Révocation, les temples sont détruits sauf celui de Poët-Laval, installé dans une maison commune. C’est aujourd’hui le musée du protestantisme dauphinois. Dix à douze mille protestants prennent le chemin de l’exil, vers les cantons suisses, les principautés allemandes — Bade, Wurtemberg, Hesse-Cassel et Brandebourg avec Berlin —, les Provinces-Unies, mais également la Virginie ou l’Afrique du Sud. Les communautés protestantes de l’Oisans, par exemple, disparaissent alors complètement. Aujourd’hui, l’association « Sur les pas des Huguenots » perpétue, sur le sentier de grande randonnée GR 968, ces chemins mémorables de Poët-Laval jusqu’en Allemagne.
Le temps des prophétesses et du Désert (1685-1788)
L’abjuration est massive mais certains, officiellement « nouveaux convertis », demeurent malgré tout fidèles à la religion réformée. La répression s’intensifie sous diverses formes.
En 1688, des jeunes filles dauphinoises, dont Isabeau Vincent, prophétisent, expriment en pleine nuit des paroles mystiques, exhortent les fidèles à la repentance et à « sortir de Babylone ». Vers 1700, le pasteur Arnaud comptabilise plusieurs centaines de jeunes prophétesses. Cette « école des prophètes » a souvent été mal perçue par les pasteurs du Refuge.
Les assemblées clandestines du « Désert » se multiplient, d’abord la nuit, dans six lieux autour de Mens par exemple. Baptêmes et mariages sont donnés par des « prédicants » itinérants, puis des pasteurs venus de Lausanne, voire en Suisse dans le pays de Vaud. Les écoles avec des régents clandestins sont nombreuses. La répression reste sévère, même durant les phases d’accalmie. Si les assemblées sont surprises, les femmes sont envoyées en prison, comme à la tour de Crest, les hommes vont aux galères (247 galériens dauphinois sur un total de 1 500 forçats huguenots) et les prédicants sont pendus. Les deux derniers pasteurs exécutés en 1745 sont le jeune Louis Ranc à Die et le restaurateur du protestantisme dauphinois Jacques Roger. Le pasteur du Désert Jean Bérenger, dit Colombe, est exécuté par contumace et en effigie, deux fois en 1759 et 1766 : il préside, surtout en Trièves, plus de 2 000 baptêmes et près de 700 mariages clandestins au Désert. Les assemblées du Désert de jour sont tolérées à partir de la fin des années 1760.
L’édit de tolérance en 1787 voit l’inscription des huguenots en Dauphiné vers l’état-civil. Ils ne sont plus que 43.000 en Dauphiné.
La renaissance des Églises réformées dauphinoises sous la Révolution française et l’Empire
Dans le Dauphiné, les huguenots sont initialement favorables à la Révolution. Le maire de Grenoble, devenu président de l’Assemblée constituante à la mi-1790, est le protestant Antoine Barnave. Hostile à l’égalité avec les « nègres », il s’éloigne des Jacobins, puis se rapproche de la reine après la fuite du roi à Varennes. Incriminé en 1792, il est emprisonné, jugé en novembre 1793 et guillotiné.
Sous le Consulat et l’Empire, le Concordat puis les articles organiques permettent de reconstituer sept Églises consistoriales en Dauphiné (Mens, Orpierre, Crest, Die, Bourg-lès-Valence, Dieulefit et La Motte-Chalancon). Des temples sont alors construits. D’après le recensement Chaptal, les protestants représentent 1% de la population en Isère (dont 2% à Grenoble, 50% à l’est du Trièves avec Mens, Saint-Jean-d’Hérans, Saint-Baudille-et-Pipet). La Drôme est, au XIXe siècle, le quatrième département le plus protestant de France. Les Hautes-Alpes comptent deux pasteurs réformés, l’Isère quatre, la Drôme vingt-six.
Du Réveil des années 1820 au Réveil de la Drôme des années 1920
Vers 1820, l’évangéliste suisse Félix Neff, l’« apôtre des Alpes », apporte un vent religieux nouveau en tant que pasteur non officiel, à la fois évangéliste, instituteur, agronome. Son succès se manifeste par la multiplication des écoles, dont deux écoles modèles, à Dourmillouse et à Mens. Le pasteur Blanc s’inspire de son œuvre pour créer l’école modèle protestante de Mens en 1834, qui dure jusqu’en 1914. Mille instituteurs protestants y sont formés.
La ferveur religieuse décline néanmoins, particulièrement chez les hommes. Les débats entre orthodoxie et libéralisme contribuent à vider les temples. Une partie des fidèles se tourne vers les minorités darbyste et méthodiste. D’autres se tournent vers la libre-pensée et la franc-maçonnerie. Le pasteur Tommy Fallot, emblème du christianisme social, contribue néanmoins à redonner du dynamisme aux paroisses de la vallée de la Drôme.
Après la saignée de la Grande Guerre, les jeunes pasteurs Henri Eberhard, Bordigoni, Jean Cadier, Édouard Champendal, Pierre Carron et Henri Bonifas initient le Réveil des années 1920 dans la haute vallée de la Drôme. L’unité des pasteurs en faveur de la nouvelle Église réformée de France en 1938 se réalise plus aisément.
De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui
Sous l’Occupation, la paroisse de Grenoble développe des activités d’aide aux réfugiés, grâce aux pasteurs Charles Cook et Charles Westphal, leurs épouses et les « dames » de la paroisse. L’expérience de Grenoble voit une paroisse grandir avec un tiers de fidèles supplémentaires, dont de nombreux juifs : c’est « l’expérience de Grenoble ». La pension « Brise des Neiges » à La Tronche avec Madame Péan-Pagès cache une centaine de jeunes juives. En liaison avec cette paroisse, Suzanne Casalis développe une action de sauvetage de juifs, entre Grenoble et Mens, avec le pasteur Pierre Gothié.
A Dieulefit, mi-réformée, une véritable petite capitale du protestantisme se développe grâce aux réfugiés, souvent d’élite. L’école de Beauvallon avec une éducation nouvelle d’inspiration suisse, dirigée notamment par Marguerite Soubeyran, devient un nid de juifs et de résistants. Lieu privilégié, Dieulefit ressemble au Chambon-sur-Lignon avec un refuge fondu dans la population locale, pasteur et prêtre compris, gendarmes complices et secrétaire de mairie réalisant des faux-papiers en série.
Face aux maquis des FTP (Francs-tireurs et partisans) — d’obédience communiste — au Vercors, la population protestante dauphinoise est plus partagée. Des jeunes gens sont tentés par l’aventure.
Quelques étudiants en théologie de Montpellier se réfugient lors de l’été 1943 dans un camp dit de « théologiens » à Tréminis, au sud de l’Isère. Ils subissent la foudre de la trahison puis de la violence allemande le 19 octobre 1943. Le trésorier de la paroisse de Grenoble André Girard-Clot, les jeunes René Lescoute et Bernard Laroche meurent en déportation. À notre connaissance, c’est le seul maquis que l’on peut juger protestant en France.
Après-guerre, le protestantisme se développe dans les paroisses urbaines et banlieusardes à Valence, Vienne ou Grenoble.
Le développement de l’agglomération grenobloise, par exemple, voit une nouvelle sociologie protestante : une classe moyenne de cadres ou d’intellectuels, souvent engagée à gauche ou dans l’écologie. Sur 500 paroisses réformées françaises, celle grenobloise, au vu de son assistance dominicale au temple rue Hébert, est jugée à la 50e place dans les années 1960 : elle regroupe 2 000 paroissiens en 1953, 3 300 en 1958, 4 500 en 1968. Les fiefs protestants du Haut-Diois ou du Trièves perdent leur poids démographique même si le retour au pays, parfois estival, marque un attachement huguenot ancestral assez obstiné.
Les débats sur le communisme et le christianisme, la guerre d’Algérie, les Jeux olympiques d’hiver de 1968 à Grenoble et les événements de mai 1968, provoquent des ardeurs et des remous, à travers toute une réflexion sur l’engagement dans une société urbaine et sécularisée. En juin 1961, des femmes protestantes ouvrent le premier centre en France du « planning familial ». En 1968, l’œcuménisme vécu depuis 1945 voit la construction du « centre œcuménique Saint-Marc » à Grenoble. Aujourd’hui, 1 120 familles sont affiliées à l’Église protestante unie de Grenoble. Un nouveau protestantisme « évangélique », urbain et d’origine immigrée, se développe.