Un afflux d'artisans luthériens
Après la mort de Louis XIV (1715) courtisans et grands seigneurs reviennent s’installer à Paris. Il leur faut des artisans compétents : des Alsaciens et des Allemands, pour la plupart luthériens, affluent vers la capitale.
Ce sont des ébénistes comme Oeben, Riesener et Bennemann, promus ébénistes de la couronne, des tailleurs, des cordonniers, des chapeliers, des perruquiers, des fabricants de bas, gants, dentelles et rubans pour les précieuses et les petits marquis, des imprimeurs sur tissus, comme Oberkampf.
Ce sont aussi des bijoutiers, comme Boehmer et Bassenge, bijoutiers de la Reine, des selliers-carrossiers : c’est Ludwig qui construit pour Fersen la berline de la fuite de Louis XVI à Varennes. Des musiciens introduisent en France la musique baroque, les instruments à vent, le piano forte. La harpe de la reine Marie-Antoinette est commandée à Nadermann.
Pour échapper aux corporations, ces artisans s’installent comme ouvriers libres dans les faubourgs de la capitale : par exemple les ébénistes au Faubourg Saint-Antoine, les carrossiers au Faubourg Saint-Germain… Et tous se retrouvent le dimanche à la chapelle de Suède dont le public s’accroît considérablement. En 1726, le culte du centenaire réunit un millier de personnes.
L'ambassade de Suède
C’est la grande amitié qui lie la Suède et la France aux XVIIe et XVIIIe siècles qui permet aux ambassadeurs de ce pays à Paris d’accueillir dès 1635 et de protéger leurs coreligionnaires et de leur assurer le libre exercice du culte. Ce culte a lieu à la chapelle de l’ambassade. La chapelle n’est pas un bâtiment mais le salon de l’ambassadeur dans l’hôtel particulier qu’il loue. La communauté bénéficie de pasteurs remarquables, nommés par le roi de Suède dès 1711, et des subsides du roi de ce pays.
Le ministère du pasteur Baer (1742-1784) inaugure un âge d’or pour les artisans luthériens de Paris. C’est un Alsacien bilingue, théologien érudit et humaniste, reçu à la cour du roi de France, mais avant tout un vrai pasteur, qui résout tous les problèmes d’intégration de cette communauté.
Désormais ces artisans protestants et allemands peuvent épouser légalement des jeunes filles françaises en sollicitant du roi un « Brevet de Permission Royale de se marier à l’étranger », en fait à la chapelle : à partir de 1780 ce brevet est toujours accordé.
À la chapelle de Suède, le pasteur prêche en allemand mais aussi en français une fois par mois. L’assimilation progresse comme en témoignent les écritures et les signatures sur les registres qui passent du gothique au romain, de l’allemand au français.
Les artisans peuvent être soignés à « l’infirmerie pour tous les luthériens » et ils peuvent trouver une sépulture décente dans la cour du cimetière pour les étrangers protestants à la porte Saint-Martin.
L'ambassade du Danemark
En 1746, l’ambassadeur du Danemark Bernstorff décide d’ouvrir aussi sa chapelle : il fait venir en 1746 le pasteur allemand Mathias Schreiber dont le long pastorat se poursuit jusqu’à sa mort en 1784.
Sous la conduite de ce pasteur se constitue rapidement une communauté composée de gens simples parlant allemand. Ce sont des immigrants non spécialisés ou s’adonnant à de petits métiers : chaudronniers, fabricants de clous, tanneurs. Cette communauté est très soudée et l’ambiance est familiale et recueillie. Elle reste germanophone jusqu’à la fermeture de la chapelle en 1810.
Les communautés des ambassades de Danemark et de Suède s’ignorent en raison des différences de langue et de statut social mais leurs pasteurs s’entendent bien et se rendent de mutuels services.
Dans la tourmente révolutionnaire
L’ambassade de Danemark n’est pas trop inquiétée. Par contre, après l’épisode en 1791 de la fuite de la famille royale à Varennes, organisée par le Suédois Fersen, l’ambassade de Suède est considérée comme un « nid de conspirateurs ». L’ambassadeur quitte son poste, suivi par tout le personnel de l’ambassade. Seul reste le pasteur Gambs qui subit tous les affronts, perquisitions, menaces et violences des « bonnets rouges » du quartier. Il parvient à sauver les registres de la chapelle que la Commune le somme de lui remettre. La communauté est dispersée : certains se cachent, d’autres repartent dans leur pays. Quelques-uns s’engagent dans la fureur révolutionnaire : par exemple George Mutel est le chef d’une bande de pillards au Faubourg Saint-Antoine, Johann Koller fait partie des « brigades sanglantes » de Vendée et Tobias Schmidt est le concepteur-promoteur de la guillotine.
Toutefois la chapelle de Suède reste ouverte comme celle du Danemark pour les quelques courageux qui s’y risquent. En dépit de tous les dangers les deux pasteurs, Gambs à la chapelle de Suède et Göricke à la chapelle du Danemark, seuls ministres chrétiens à Paris à oser le faire, continuent pendant toute la Révolution à assumer pleinement leur ministère. Jamais le nombre des actes célébrés aux deux chapelles n’a été aussi élevé que sous la Terreur. Car on y marie et baptise tous ceux qui se présentent, même s’ils sont catholiques.
Une église luthérienne française à Paris et des communautés scandinaves
Grâce au courage de leurs pasteurs, les deux communautés traversent la tourmente puis se redéploient au temps du Consulat. Détachés des chapelles étrangères sur ordre de Napoléon, les Français sont regroupés en une Église française luthérienne parisienne inaugurée en 1809 en l’église des Billettes au Marais. Celle-ci existe encore aujourd’hui.
La chapelle de l’ambassade de Suède est fermée en 1806 en même temps que l’ambassade. Elle est réouverte en 1857 avec un chapelain d’ambassade. Les cultes sont célébrés à l’ambassade jusqu’à la construction, en 1911, de l’église suédoise de la rue Médéric à Paris.
L’aumônier d’ambassade est alors aussi le pasteur de cette église luthérienne entièrement suédoise. Il réside dans le complexe des bâtiments attenant, mais bénéficie du statut diplomatique et des honneurs qui l’accompagnent. Il en est ainsi jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État en Suède, effective en 2000.
Désormais l’Église de la rue Médéric dépend directement de l’archevêque de Stockholm, comme toutes les paroisses luthériennes de Suède. On n’y parle et prêche qu’en suédois. Elle vit tout à fait à part de l’ambassade.
Il n’y a plus de chapelle d’ambassade danoise depuis 1810, mais la communauté luthérienne danoise s’est reconstituée en 1874 en collaboration avec la communauté norvégienne. Refondée en 1923, elle dispose depuis 1955 d’une église rue Lord Byron.
Les registres
Les registres des chapelles des ambassades de Suède et du Danemark qui ont servi d’état civil sont une source précieuse de connaissance sur les luthériens de Paris. Contrairement aux registres catholiques, réformés et israélites, ils n’ont pas été entreposés à l’hôtel de ville de Paris qui a brûlé en 1871 pendant la Commune. Dispersés ou oubliés après la fermeture des chapelles par Napoléon, beaucoup ont été retrouvés à partir de 1968. Leur décryptage a duré plus de 20 ans.