Défendre les protestants français
Les premières années de la guerre donnent lieu à des polémiques contre les protestants français. Certains catholiques les accusent en effet de manquer de patriotisme et d’être complaisants envers l’ennemi, l’Allemagne protestante. Le soutien qu’apportent par exemple les protestants alsaciens à l’Allemagne ne fait que renforcer cette suspicion.
Aussi la presse huguenote réagit-elle à différents niveaux. Certains auteurs répondent directement aux attaques des polémistes catholiques, notamment en attaquant le Pape Benoît XV sur ses positions concernant le catholicisme allemand. D’autre part, la presse protestante multiplie les articles nécrologiques, tels que « Nos pasteurs au feu » dans La Revue Chrétienne ou encore « Nos deuils » dans le Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, afin de rendre hommage aux protestants morts au front, blessés ou décorés, et de montrer leurs sacrifices pour la France. Le premier soldat français tué lors de cette guerre, le 2 août 1914, n’est-il pas un protestant, le caporal Jules-André Peugeot ?
Malgré ces accusations, la presse protestante française se fait patriote dès le début de la guerre, affichant son soutien aux dirigeants du pays et minimisant les difficultés rencontrées quand cela semble nécessaire. Les articles nécrologiques se font moins nombreux au cours du conflit car le nombre total de morts devient trop important et risque d’affecter le moral des lecteurs. À mesure que la guerre dure, les doutes et les polémiques envers le patriotisme des huguenots français se font plus rares, laissant place aux témoignages d’un certain œcuménisme, notamment en 1917 avec l’arrivée de l’armée américaine, puissance protestante.
Critiquer l’ennemi allemand
Toute la difficulté de la presse protestante est d’essayer de bien montrer la séparation entre les protestants français et allemands. Il s’agit de ne critiquer ni les pères allemands du luthéranisme ni le protestantisme, mais bien les Allemands. C’est pourquoi les journaux abandonnent l’idée du litige liturgique et préfèrent trouver aux Allemands d’autres maux. Ils les accusent alors de « folie », une folie que les journaux français expliquent par les différences culturelles et politiques. L’impérialisme et l’Église d’État seraient, selon eux, les principales causes de la docilité allemande. En d’autres termes, les Allemands sont accusés de suivre aveuglement un pouvoir autoritaire et sanglant. Pour illustrer leurs propos, les journaux français n’hésitent pas à recourir à la presse étrangère, issue de pays neutres au conflit comme la Suisse ; mais ils n’utilisent bien sûr que les articles étrangers qui confortent leurs propres accusations.
Participer à l’effort de guerre
On peut dire de la presse qu’elle se mobilise, puisque dans son fond (contenu des articles) et dans sa forme (pagination), la guerre prend une place prépondérante. Les journaux protestants essaient de renforcer l’engagement des protestants. Pour ce faire, ils utilisent plusieurs arguments. Ces arguments suivent l’idée directrice selon laquelle, désormais, le seul moyen d’atteindre les paix est de vaincre l’Allemagne. Il n’y a en général pas de discours théologique sur la valeur ou sur les buts du conflit ; les journaux avancent cependant que le meurtre des Allemands est justifié par la volonté divine d’une paix mondiale, volonté matérialisée par l’intervention américaine.
Les protestants combattent donc sur deux fronts à travers leurs organes de presse. Le premier est celui des combats intérieurs, où ils cherchent à prouver leur patriotisme ; le second est celui de la guerre mondiale, qui doit mener à la paix mondiale. Mais ces journaux, pour un certain nombre, sortent irrémédiablement affaiblis par les immenses efforts qu’ils ont produits durant la guerre afin d’assurer les publications.
Auteur : Yaël Rosso et François Millet