Un groupe pacifiste
La caractéristique principale des intellectuels protestants, au début du XXe siècle, est leur attachement à un pacifisme modéré ou radical. Ils s’opposent à l’entrée en guerre contre le peuple allemand, avec lequel ils partagent une même foi protestante. Le commandement « Tu ne tueras point » prend alors tout son sens aux yeux des intellectuels.
Mais les intellectuels protestants français se retrouvent dans une dualité, entre l’opposition au militarisme allemand, qui légitime à leurs yeux la guerre, et un sentiment d’appartenance religieuse commune avec ce peuple ennemi.
La loi de Dieu ou la loi de la Nation ?
Dans l’incapacité de choisir entre le patriotisme et la religion, les intellectuels décident de participer à l’effort de guerre, sur le front ou à l’arrière, tout en conservant leur intégrité religieuse. Tous agissent sous « leur propre loi ».
Charles Gide (1847-1932), professeur d’économie politique à l’université, est trop âgé pour être mobilisé en 1914, à la différence des ses deux fils. Son fils aîné, Paul, meurt pour la France en 1915, et son fils cadet, Édouard, revient grièvement blessé. Aux yeux de C. Gide, chacun doit trouver sa marche spirituelle tout en restant patriote, et être en accord avec ses valeurs personnelles.
Jules Puech (1873-1957), docteur en droit et secrétaire adjoint de la rédaction de la revue La Paix par le droit, s’engage volontairement dans l’infanterie en 1915. Pour lui, l’éloignement de Dieu, mis en corrélation avec un sentiment patriote qui s’essouffle, induit un renforcement des liens entre les hommes.
Le roman publié par André Chamson en 1925 et intitulé Roux le bandit met en scène « un montagnard qui se refuse à la Loi commune pour suivre ce qui, pour lui, est la Loi divine ». Pour Roux, la loi doit être celle d’une démarche religieuse qui l’emporte sur la loi du pays, néanmoins la finalité pour l’ensemble des intellectuels est de préserver une relation d’union forte.
S’identifier aux autres
Comprendre, agir, ressentir le même effort de guerre que le peuple est primordial aux yeux de certains intellectuels. De même, pour eux, parler de la guerre sans l’avoir vécue est inimaginable. Jules Puech et Jean Norton Cru (1879-1949) en savent quelque chose. Combattants de la Nation française, ils en ressortent avec une autre expérience et une autre pensée que leurs homologues restés à Paris. Se sentir utile, motivé dans l’effort avec ses camarades, même si on n’est pas le meilleur ; apporter soutien et aide à ses camarades (comme écrire aux proches, ou demander des informations auprès des supérieurs)… J. N. Cru parlera « d’empathie » envers ses camarades dans l’effort. Pour que chacun puisse tenir, la valeur fondamentale est le respect.
Jules Puech comme Jean Norton Cru rappellent l’importance de communiquer l’histoire vécue par ces hommes tellement différents mais unis par la guerre des tranchées.
L’évolution des conceptions de la guerre
Dès l’appel au front en 1914, les hommes sont mobilisés dans l’idée de vaincre l’Allemagne militariste. Chacun part avec sa « haine pour l’ennemi », mais en ressort avec une toute autre vision.
La nation allemande militarisée, dont on était sûr qu’elle avait causé la guerre, ne semble plus être la seule fautive du déclenchement du conflit. On s’interroge sur la notion de patriotisme, qui n’avait jamais subi une telle remise en question. Jules Puech évoque par exemple l’absurdité d’une guerre à cause de « 4 ou 5 couples d’idiots et de bandits qui font perdre un an de leur existence à des millions d’hommes, quand ils ne leur font pas perdre la vie. »
On souhaite la victoire et la paix, le plus tôt possible, toutefois les intellectuels se rendent compte que l’idéal de victoire est complexe, car la propagande ne reflète en rien la réalité de la guerre. Les hommes sont à bout de souffle, autant sur le plan physique que psychologique, et la cause défendue par leur pays ne les satisfait plus. Vivre dans la « mobilisation, la cruauté et le patriotisme » leur fait comprendre qu’on les a « dupés ».
La guerre change les hommes, et les hommes changent la guerre par leurs constantes réflexions personnelles, mais surtout par leurs actions.