Les prédicants et les prophètes
A la suite de la révocation de l’édit de Nantes, les pasteurs ont le choix entre l’exil et l’abjuration. La grande majorité d’entre eux quitte la France et exerce un ministère pastoral dans les pays protestants qui les ont accueillis (pays du Refuge). En France des laïcs assurent la prédication et distribuent la cène dans des assemblées clandestines réunies la nuit dans des lieux reculés. Ce sont les « prédicants ». Pourchassés comme rebelles, beaucoup sont arrêtés et exécutés, les autres étant contraints à se réfugier à l’étranger.Un des prédicants les plus célèbres était Claude Brousson.
Dès 1688 en Dauphiné, puis à partir de 1700 en Cévennes et en Bas-Languedoc, des hommes, des femmes et même des enfants se mettent à prophétiser, en appelant à la conversion et au retour à la religion réformée. Ils réunissent autour d’eux un public de plus en plus nombreux.
Les premiers pasteurs
A partir de 1715, le jeune prédicant Antoine Court (1695-1760) cherche à restructurer les Églises réformées, en faisant taire les prophètes et en rétablissant la discipline des Églises. Il veut créer un corps de ministres mieux formés pour instruire le peuple et diriger les assemblées, toujours clandestines, appelées aussi « assemblées du Désert ». Ces ministres doivent être examinés par un synode et être consacrés.
C’est ainsi qu’Antoine Court envoie le prédicant Pierre Corteiz (1683-1767), son adjoint et ami, recevoir la consécration à Zurich. A son retour, Antoine Court veut partir lui aussi à Zurich mais le synode régional refuse et décide que Pierre Corteiz procéderait à la consécration d’Antoine Court lors d’un synode (le 21 novembre 1718).
Le troisième pasteur, Jacques Roger (1665-1745), a une histoire bien différente. Il a quitté la France tout jeune, a vécu en Suisse et en Allemagne où il a fait des études de théologie, a été consacré pasteur et a exercé son ministère. A la mort de Louis XIV en 1715, il quitte son poste pour retourner en France et y prêcher malgré les dangers. Il adhère au programme du jeune Antoine Court et poursuit son ministère clandestin en Dauphiné pendant 30 ans.
La période « héroïque » (1715-1760)
Cette période est dominée par la personnalité du pasteur Antoine Court. Même lorsque celui-ci sera établi à Lausanne, il restera la figure de référence pour les Églises du Désert. Il revient d’ailleurs en France pour le synode national de 1744. Les Églises du Languedoc avaient fait appel à lui pour régler un différend qui divisait les fidèles comme les pasteurs, au sujet d’un pasteur qui refusait de se soumettre à une décision synodale. Court se rend en Basses-Cévennes, parvient à un accord et obtient une réconciliation générale. Pour le remercier, le synode le nomme « Député général », c’est-à-dire représentant des Églises clandestines auprès des pays protestants. Cette fonction consistait à leur réclamer des subsides en faveur de l’Église persécutée et des étudiants au séminaire de Lausanne.
En dépit des risques encourus jusqu’en 1762 (peine de mort pour les pasteurs arrêtés), les vocations ne tarissent pas.
- En 1718, les Églises du Désert comptent 3 pasteurs ;
- En 1730, elles comptent 12 pasteurs, pour 120 Églises ;
- En 1744, elles comptent 28 pasteurs, pour 300 Églises ;
- En 1756, elles comptent 48 pasteurs et 18 proposants.
Les pasteurs exercent un ministère itinérant. Sans cesse poursuivis, ils doivent se cacher et les synodes chargent les anciens de leur trouver des retraites sûres. Progressivement ils vont pouvoir se fixer sur un secteur géographique, grâce à l’augmentation de leur nombre. Dès le début, certains sont mariés, tels Corteiz et Court, mais leurs épouses sont inquiétées et doivent se réfugier à Genève.
Les martyrs
Les édits successifs de Louis XIV, confirmés par Louis XV dans sa déclaration de mai 1724 , prévoient la peine de mort pour les pasteurs ou prédicants qui tiendraient des assemblées interdites. L’application varie selon les périodes et selon les régions. Des vagues de persécution suivent des périodes de calme relatif.
Parmi les pasteurs ou proposants arrêtés et exécutés, le plus célèbre est Pierre Durand (1700-1732) frère de Marie Durand, condamné au gibet en 1732. Il avait participé au synode des Montèzes en 1715.
En 1745, plusieurs pasteurs sont exécutés. Deux d’entre eux exercent dans le Dauphiné : le jeune Louis Ranc et le vieux Jacques Roger, exécuté à 80 ans après trente années de ministère clandestin.
En Vivarais, la pendaison à 26 ans du pasteur Mathieu Marjal dit Désubas crée une vive émotion car il était très aimé.
En 1762, dernière exécution à Toulouse d’un pasteur : François Rochette.
Vers la tolérance (1760-1789)
A partir de 1760, une période de tranquillité relative voit croître rapidement le nombre des pasteurs. En 1763, les Églises comptent 62 pasteurs et 35 proposants ; en 1783, elles comptent 150 pasteurs et 30 proposants.
La grande figure de cette période est le pasteur Paul Rabaut (1718-1794) qui réunit des assemblées très nombreuses en Languedoc et qui a des contacts avec les autorités de la province. Les assemblées se font plus souvent en plein jour et sont fréquentées progressivement par les notables.
En Saintonge, dès 1755, le pasteur Louis Gibert (1722-1773) fait construire des « maisons d’oraison » pour célébrer le culte. Ce sont des bâtisses légères, sortes de granges, qui abritent de la pluie et du vent et permettent une célébration tous les dimanches. Louis Gibert parvient à convaincre le gouverneur de la province, le maréchal de Sennecterre, du bien-fondé de ces maisons d’oraison qui permettent un meilleur contrôle des autorités sur les rassemblements des protestants.
Après 1760, de nombreux pasteurs vivent avec leur femme et leurs enfants dans leur maison au vu et au su de tout le monde.
La formation des pasteurs
Les candidats au ministère pastoral ou proposants sont tout d’abord formés sur le terrain, en suivant des ministres en exercice et en se procurant des livres interdits. A partir de 1725, Antoine Court fonde un établissement à Lausanne pour améliorer l’instruction des futurs pasteurs du désert. : le séminaire de Lausanne. Une formation accélérée, d’abord en une puis en deux années y est dispensée par des professeurs de l’Académie de Lausanne, elle est adaptée à des jeunes gens n’ayant pas suivi un véritable cursus scolaire.
Le financement des bourses pour ces étudiants à Lausanne est assuré par des collectes faites dans les pays du Refuge par Benjamin Duplan, élu Député Général auprès des pays protestants par le synode national de 1727, puis par Antoine Court à partir de 1744.
De 1726 à 1763, 154 étudiants ont fréquenté ce séminaire de Lausanne qui a joué un rôle important pour la formation des pasteurs du Désert.