Le contexte historique
Les théologies de la Libération sont apparues en Amérique latine au sein même de l’Église catholique dans un contexte marqué par les dictatures militaires et la crise sociale à la fin des années 1960. Les deux plus célèbres concepteurs en sont le brésilien Léonardo Boff, franciscain, et le péruvien Gustavo Guttierrez qui, le premier, les formalise en publiant La théologie de la libération en 1971.
L’Amérique latine a été du XVIe au XIXe siècle très largement catholique, mais d’un catholicisme ultra-autoritaire. A la fin des années 1960, des mouvements contestent l’Église catholique qui vit en trop bonne harmonie avec le pouvoir civil. Dans le même temps, se mettent en place des dictatures et des régimes militaires, qui éliminent toute opposition.
Dans cette période de fort développement mondial sur le plan économique, la population, très pauvre, voit avec envie le modèle de société nord-américain.
Les théologies de la Libération
Les théologiens de la Libération prennent en compte le contexte de l’époque, mettent l’accent sur l’économique, le politique, le social : il faut libérer les pauvres de leur pauvreté, en les rendant acteurs de leur propre libération. Ils dénoncent le capitalisme comme cause de l’aliénation. Ils utilisent une analyse marxiste, mais distinguent leur engagement politique de leur conception chrétienne.
Il faut s’affranchir des modèles occidentaux, inopérants devant cet ordre social aliéné, et qui ne répondent pas aux problèmes concrets que vivent les masses. L’Église, en tant qu’institution sociale, a nécessairement une influence efficace sur la vie collective, elle doit œuvrer pour ouvrir la société à plus de justice et de paix.
Cette tendance, initiée dans les milieux catholiques, se retrouve aussi dans le monde entier au sein des milieux protestants œcuméniques, proches des milieux progressistes et même révolutionnaires. Ils sont marqués par les théoriciens européens, dont le pasteur Georges Casalis qui adhère aux théologies de la Libération et enseigne au Nicaragua.
En 1968, l’épiscopat latino-américain se réunit à Médellin (Colombie) et déclare que l’injustice sociale ne peut être cautionnée par l’Église « qui doit accorder une attention prioritaire aux pauvres ».
La méthode
Il faut partir de la réalité du terrain et formuler ensuite la théologie, qui sera ainsi informée par une analyse de la réalité nourrie des sciences sociales.
L’engagement personnel est premier, la réflexion théologique est l’acte second. Il faut, en s’engageant d’abord, se donner les moyens de comprendre la réalité que l’on veut changer. La théologie est toujours une réflexion critique, mais à partir d’un engagement historique.
Pour Georges Casalis, il s’agit de partir, non pas des vérités éternelles pour rejoindre la réalité, mais des risques et des obscurités des luttes quotidiennes en solidarité avec les opprimés, et d’en déchiffrer le sens en les confrontant à la pratique de Jésus-Christ.
Le contenu
C’est « l’option préférentielle pour les pauvres ». Dans la Bible, on voit comment les pauvres sont traités par Dieu (pauvres = enfants de Dieu), comment ils sont sujets d’une libération. Puisque Dieu lui-même a fait ce choix, les Églises doivent le faire aussi.
Le royaume de Dieu se réalise dans l’histoire, à partir de l’Église des pauvres, et non pas de l’Église pour les pauvres.
Ainsi chacun doit prendre en compte la réalité dans toutes ses dimensions, chercher à y inscrire la foi chrétienne comme un geste de libération, comme une action de transformation, en s’appuyant sur l’espérance et le dynamisme des pauvres.
Comment les théologies de la Libération ont-elles été reçues ?
Les théologies de la Libération reçoivent des critiques systématiques :
- de la Curie romaine catholique qui les met à l’index et les accuse de confondre la foi chrétienne avec le marxisme (mais il n’y a pas eu de condamnations ou excommunications sauf très tardivement). Rome relève de leur fonction ou déplace les évêques engagés (Mgr Camara) et nomme de nouveaux évêques.
- des USA qui veulent déstabiliser ces mouvements sur le terrain de crainte qu’ils ne favorisent des régimes révolutionnaires. Les USA vont soutenir les Églises protestantes évangéliques et fondamentalistes. (Il existe dans les pays d’Amérique latine depuis une centaine d’années un protestantisme évangélique, assez hostile aux théologies de la Libération, et en très forte progression).
- des théologiens européens qui les critiquent :
- Pourquoi les pauvres auraient-ils une compréhension de l’Évangile supérieure aux autres ?
- Cette méthode de théologie, intuitive, ne suffit pas
Les théologies de la Libération se développent en Afrique et en Asie, mais sous une forme différente :
- lutte contre l’oppression raciale et ethnique (les Blancs sur les gens de couleur),
- lutte contre l’oppression culturelle (mouvement développé par les Noirs dont on a longtemps nié l’identité culturelle).
Il y aura donc une théologie de libération raciale, une théologie de libération culturelle, ainsi qu’une théologie de libération féminine née en Occident, qui se répand également dans les pays du Tiers-Monde, pour la défense et la promotion des intérêts des femmes.
En revanche, les théologies de la Libération n’ont eu qu’un impact réduit en Europe.
Essoufflement des théories de la Libération (fin des années 1980)
En 1986, le congrès de Lima (présidé par le cardinal Alfonso Lopez Trujillo) accuse la théologie de la Libération d’être une tentative de déstabilisation de l’Élise car utilisant des formes d’analyse marxiste prêtant à des confusions entre le religieux et le politique. Il propose une théologie de la Réconciliation.
C’est dans ce contexte que se produit le tournant de 1989 consacrant la fin du communisme.
A partir de cette date :
- Les mouvements populaires perdent de leur importance, au fur et à mesure que se mettent en place des régimes plus démocratiques.
- La priorité n’est plus donnée à l’instauration d’une société égalitaire par le biais d’une Église populaire.
- Les préoccupations écologiques se développent.
- Les milieux œcuméniques se fragilisent.
- Ces théologies rencontrent une forte opposition des Pentecôtistes et des Évangéliques : les pauvres optent largement pour le Pentecôtisme, surtout à partir de la fin 1989.
- Des théologies autochtones, noires, métisses, populaires ou féministes émergent.
L’Église des pauvres est en passe de devenir une simple religion populaire, identitaire et ethnique.