Le moine augustin et l'universitaire
Martin Luther est né le 10 novembre 1483 à Eisleben, petite ville située à l’ouest de Halle (Saxe-Anhalt), dans une famille de paysans. Son père, très attaché à la promotion sociale de sa famille, était mineur dans une mine de cuivre. Luther effectue ses études à Eisenach puis à l’université d’Erfurt où il commence ses études de droit. En 1505 il est pris dans un violent orage : terrorisé par la foudre qui s’abat à côté de lui, il fait le vœu de se faire moine, s’il en échappe. Quelques jours après, il entre au couvent des moines augustins à Erfurt contre la volonté de son père et à son insu . Il prononce ses vœux en 1506 et il est ordonné prêtre en 1507. Après un séjour à Wittenberg où il devient bachelier en théologie, il entre au couvent d’Erfurt en 1509.
En 1510, il est envoyé à Rome avec un frère à propos d’une querelle interne aux couvents augustins. Il est peut-être choqué par le manque de recueillement des prêtres et par le luxe de la vie des cardinaux. En tout cas, il commence à avoir des doutes sur l’efficacité des prières en faveur des âmes du purgatoire.
En 1512, il est sous-prieur à Wittenberg et prépare un doctorat en théologie qu’il obtient l’année suivante : il donne alors des cours de théologie à l’université sur les psaumes et les épîtres aux Romains, aux Galates et aux Hébreux.
En 1513, il devient professeur et en 1515, il est nommé vicaire des Augustins en Allemagne. Cette même année, dans son Cours sur l’épître aux Romains, Luther exprime sa thèse selon laquelle l’homme est à la fois juste et pécheur.
Luther quitte les Augustins en 1525, peu de temps avant son mariage.
L'affichage des 95 thèses contre les indulgences
En 1515, le pape Léon X renouvelle l’indulgence plénière que son prédécesseur Jules II avait promulguée pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. En 1516, le dominicain Tetzel est chargé d’une campagne de vente d’indulgences en Allemagne : rémissions des péchés et des peines temporelles sans repentir ni confession pour les vivants, limitation du séjour au purgatoire pour les morts, contre le versement d’une somme d’argent. Cette démarche est contestée, notamment par le prince électeur de Saxe, Frédéric le Sage, qui n’autorise pas la vente des indulgences sur son territoire. Luther va plus loin dans la réprobation avec les 95 thèses qu’il placarde lui-même le 31 octobre 1517 sur la porte de l’église du château de Wittenberg. Outre une violente critique des indulgences, contre lesquelles d’autres s’étaient déjà élevés, Luther refuse la théologie des œuvres : le pécheur n’est pas pardonné en raison de ses œuvres. Tourmenté par la justice de Dieu qui punit le pécheur, Luther réalise que l’homme est justifié (rendu juste) par la foi qui est un don de Dieu. C’est la révélation que décrit Luther dans l’expérience de la Tour, dont ni la date (entre 1512 et 1519) ni le lieu ne sont connus.
Une vidéo produite dans le cadre de Protestants 2017. Réalisation et montage : Emeline Ferron. Production : Fondation BersierLa rupture avec Rome
Les thèses de Luther sont attaquées par Jean Eck, vice-chancelier de l’université d’Ingolstadt. Le pape Léon X charge le général des Augustins de ramener Luther à la raison. Luther est sommé de comparaître à Rome mais Frédéric le Sage demande et obtient qu’il soit jugé en Allemagne. Le pape mandate le dominicain Cajetan pour entendre Luther à Augsbourg devant la diète. Après la séance, tenue en octobre 1518, Luther rédige un appel Du pape mal informé au pape mieux informé et quitte la ville en secret mais le pape répond par la bulle Cum postquam qui réfute les idées de Luther et demande à Frédéric le Sage de livrer Luther. Le prince électeur interdit à Luther de quitter l’Allemagne. La mort de l’empereur Maximilien en janvier 1519 donne plus d’autorité à sa décision, en effet la charge impériale étant élective, le petit-fils de Maximilien, Charles Ier d’Espagne, le futur empereur Charles Quint, avait besoin du soutien de l’électeur de Saxe pour l’emporter sur l’autre candidat, François Ier.
Mais la polémique reprend. Au cours d’une confrontation à Leipzig avec Jean Eck, Luther affirme que la Bible est la seule autorité. En réponse à son traité Sur la papauté de Rome, la bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520 somme Luther de se rétracter. Celui-ci jette la bulle au feu.
La diète de Worms
Alors que les idées de Luther commençaient à se répandre en Allemagne et hors d’Allemagne, la bulle Decet romanum pontificem du 3 janvier 1521 excommunie Luther et ses partisans. Malgré les demandes pressantes du nonce, Charles Quint refuse de livrer Luther à Rome mais le convoque en sa présence à la diète de Worms, muni d’un sauf-conduit. En avril 1521, devant la diète, Luther refuse de désavouer ses écrits : « Je ne puis ni ne veux rien rétracter car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience ». Charles Quint est furieux mais laisse Luther repartir. Pourtant, un mois plus tard, il le met au ban de l’empire. Frédéric le Sage, qui avait des sympathies pour Luther, le fait alors enlever pour le mettre à l’abri dans son château de la Wartburg, près d’Eisenach, où Luther passe près d’un an, de mai 1521 à mars 1522. C’est pour Luther une période d’intense activité avec de nombreux écrits sur la vie religieuse et la vie conjugale et surtout la traduction du Nouveau Testament en allemand.
Vers l'Église évangélique
Luther s’inquiète des profondes transformations de la messe voulues par Carlstadt. Celui-ci était un réformateur radical qui avait lui aussi, un peu avant Luther, affiché des thèses et pris la tête du mouvement de Réforme pendant que Luther était retenu au château de la Wartburg. Malgré les consignes de prudence de Frédéric le Sage, Luther retourne à Wittenberg et se met à prêcher avec son habit de moine.
Ne voulant pas heurter les consciences, il introduit graduellement des changements dans la messe. Dans un premier temps il maintient le latin pendant l’office et garde les vêtements liturgiques puis il introduit l’allemand, notamment pour la prédication. Mais Luther tient à retirer à l’eucharistie son caractère de sacrifice. Les fidèles participent par le chant.
En 1523, dans De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit, Luther développe la théorie des deux règnes selon laquelle le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont complémentaires sans s’exclure : l’un s’adresse aux hommes pieux tandis que l’autre a pour rôle de mater les méchants. Cette distinction, qui écarte la théocratie, convient aux princes allemands attirés par la Réforme.
Le message de Luther trouve aussi un écho favorable dans les villes libres.
L'appel à la noblesse et la révolte des nobles allemands
L’appel de Luther A la noblesse de la nation allemande paru en 1520 et qui traitait des pouvoirs temporels et de l’Église avait suscité des espoirs chez certains nobles qui voulaient s’émanciper de l’empereur, des princes ou des villes libres. Ils pensent trouver un allié en Luther. En 1522 éclate une révolte de nobles allemands qui envahissent les terres de l’évêque de Trèves. Luther, ne voulant pas imposer la Réforme par la force, ne soutient pas la révolte.
La révolte des paysans
En 1524, des paysans se révoltent en Allemagne du Sud, revendiquant la réduction des impôts et du servage et la souveraineté des Écritures. Ils sont poussés à l’insurrection par Thomas Müntzer, un ancien moine partisan d’une réforme radicale. Face à cette guerre des paysans, Luther appelle à la paix dans son Exhortation à la paix à propos des douze articles de la paysannerie souabe, il dénonce les faux prophètes qui trompent le peuple et condamne la révolte qui ensanglante le centre et le sud de l’Allemagne. Il la traite d’œuvre du diable, alors même qu’il avait été accusé de l’avoir allumée par ses idées. Les paysans révoltés sont battus, la répression est terrible, Müntzer est décapité.
La première diète de Spire
En 1525, François 1er avait été vaincu et fait prisonnier à Pavie. Libéré en 1526, il constitue avec l’Angleterre, Florence, Venise, Milan et le pape Clément VII la Ligue de Cognac contre l’Espagne, ce qui affaiblit Charles Quint. Celui-ci doit alors faire des concessions dans l’empire : son frère Ferdinand, qui le représente à la diète de Spire en 1526, accepte la suspension provisoire de la mise au ban de l’empire pour Luther, tandis que les princes obtiennent la liberté religieuse dans leurs états.
Ainsi la nouvelle Église évangélique pouvait s’organiser.
L'organisation de l'Église
Sur les territoires des princes et des villes ayant adopté les idées luthériennes, il convenait de visiter les paroisses, qui ne dépendaient plus des évêques, pour veiller aux bonnes mœurs des pasteurs et à l’orthodoxie de leur doctrine et s’assurer de la contribution financière des fidèles. Dès 1524, Jean-Frédéric de Saxe, régent de Thuringe veut désigner des visiteurs. Luther refuse d’abord puis finit par accepter que le prince ou le magistrat municipal désigne une commission d’inspecteurs ecclésiastiques composée de théologiens et d’hommes de loi pour inspecter la vie des communautés de la nouvelle Église évangélique.
Les visites des paroisses révèlent le besoin de l’énoncé d’une doctrine pour préciser la foi. Luther rédige alors deux ouvrages pédagogiques : le Catéchisme allemand ou Grand Catéchisme puis le Petit Catéchisme à l’usage des pasteurs et des prédicateurs peu instruits.
C’est aussi l’époque d’une controverse entre Luther et Érasme qui avait pris position contre la Réforme dans son traité Du libre arbitre (1525).
La seconde diète de Spire
Après le sac de Rome de 1527 par ses troupes mutinées et devant les perspectives de paix avec la France, Charles Quint convoque en avril 1529 une seconde diète à Spire avec une majorité de catholiques. Il veut revenir à l’édit de Worms qui avait banni Luther. La minorité acquise à la Réforme « proteste » en affirmant qu’elle ne consentirait à aucun acte ou arrêt contraire à Dieu, à sa Sainte Parole, au salut des âmes et à la bonne conscience. De là vient le nom de « protestant ».
Le colloque de Marbourg
Dans l’empire, cinq princes et quatorze villes libres, dont Strasbourg, ont adopté la Réforme.
Vienne est assiégée par les Turcs de Soliman le Magnifique en 1529. Luther est, comme le prince électeur de Saxe, Jean le Constant, très attaché à l’empire. Il ne souhaitait pas une union politique protestante mais la recherche d’une unité doctrinale lui paraissait utile : c’est l’objet du colloque de Marbourg en octobre 1529 qui aboutit à une déclaration commune mais laisse subsister des avis divergents sur l’eucharistie. Luther reste attaché à l’idée de la présence réelle, et pas seulement symbolique, du Christ dans le pain et le vin de la communion. En cela il est opposé à d’autres réformateurs, dont Ulrich Zwingli.
La Confession d'Augsbourg
Durant l’été 1530, Charles Quint convoque une diète à Augsbourg pour tenter une conciliation entre catholiques et protestants au sein de l’empire. Luther se fait représenter par Melanchthon (1497-1560) qui soutient une confession de foi, inspirée des idées de Luther et connue sous le nom de Confession d’Augsbourg ; celle-ci affirme le caractère universel de la foi luthérienne. L’empereur n’accepte pas la Confession et demande aux protestants de revenir au catholicisme. Luther demande alors à Melanchthon de composer une apologie de la Confession d’Augsbourg. Charles Quint mécontent remet en vigueur l’édit de Worms contre Luther et somme les protestants de se soumettre avant le 15 avril 1531. Les électeurs de Hesse et de Saxe refusent et constituent la Ligue de Smarkalde. L’empereur accepte la trêve de Nuremberg en juillet 1532.
L’unité doctrinale de la Réforme dans l’empire est à nouveau évoquée en 1536 lors du colloque de Wittenberg auquel participent Luther, Melanchthon, Bucer et Capiton : la Concorde de Wittenberg admet que le corps et le sang du Christ sont réellement présents dans le le pain et le vin de la communion. Le courant réformé de Zwingli n’est pas représenté.
En 1537, Luther rédige des thèses doctrinales, dites Articles de Smalkalde, pour préparer la position de la Réforme dans la perspective d’un concile qui ne s’ouvrira à Trente que huit ans plus tard en 1545.
L'homme
Le 13 juin 1525, Luther épouse Catherine Bora, une ancienne moniale, avec laquelle il aura six enfants.
Pendant les dernières années de sa vie il s’en prend violemment aux Turcs, aux papistes et aux juifs.
Au cours d’une vie mouvementée et pleines de périls, avec des périodes de confiance puis d’angoisse et même de dépression, Luther a pris progressivement conscience de sa mission. D’abord contestataire et condamné pour hérésie, il a ensuite pris le parti des princes dans la guerre des paysans et a fondé les principes d’organisation d’une Église renouvelée.
Universitaire brillant, théologien, prédicateur, écrivain, il est doué pour s’exprimer dans un langage simple, en latin ou en allemand. Il a laissé une œuvre écrite considérable avec plus de 600 titres, tous au service de son message religieux.
Musicien, il a composé une série de 36 cantiques en langue allemande pour être chantés par l’assemblée des fidèles, ce qui a contribué à développer la musique allemande. Le plus connu de ses hymnes est C’est un rempart que notre Dieu (Ein feste Burg ist unser Gott).
Il meurt le 18 février 1546 à Eisleben, sa ville natale, alors que la Réforme protestante était lancée avec un profond renouvellement de la spiritualité.
Entretien avec Marc Lienhard (8:00 min)