Mulhouse ville réformée
En 1518, quelques milieux cultivés s’intéressent aux écrits de Luther. Zwingli à Zurich, Œcolampade à Bâle transforment leurs villes en cités « véritablement chrétiennes ». Le Magistrat de Strasbourg autorise la célébration des cultes selon les principes nouveaux à côté des offices traditionnels catholiques.
A Mulhouse, le Magistrat publie en juillet 1523 des directives affirmant que le chrétien est lié à la Parole de Dieu, qu’il ne doit attendre son salut que de cette Parole, et que les clercs ne doivent plus enseigner que la Sainte Écriture. Cette année 1523 peut être considérée comme celle du point de départ de la Réforme à Mulhouse.
En 1526, l’alliance avec les cantons suisses doit, comme tous les cinq ans, être renouvelée. A la suite d’un colloque tenu à Baden, les cantons suisses catholiques refusent ce renouvellement, qui n’est signé qu’avec les cantons protestants. Le prédicateur neuchâtelois Guillaume Farel, de passage à Mulhouse, encourage les autorités à persévérer et à prêcher avant tout la charité chrétienne Mais, alors que Berne prend des mesures radicales en supprimant la messe, Mulhouse, suivant Bâle, ne procède que par étapes pour établir les nouvelles réformes cultuelles : le culte principal doit débuter par un chant de l’assemblée et se terminer par la Sainte Cène ; les chants latins ne sont pas interdits, mais doivent être préalablement traduits et commentés. Mais en 1529 un vent de radicalisme, après avoir passé par Bâle, abolit la messe, les derniers couvents (presque totalement délaissés) sont fermés ; les œuvres d’art déclarées être des idoles sont ôtées, mises en sureté ou parfois détruites. A partir de 1529, Mulhouse devient une ville entièrement réformée, et le resta jusqu’à son rattachement à la France en 1798.
L’alliance avec les cantons suisses
Par crainte d’une intervention des représentants du pouvoir impérial germanique, la ville demande en 1529 son admission dans l’alliance particulière, la « combourgeoisie chrétienne », que les cantons réformés de Zurich et Berne avaient conclue pour leur défense contre les cantons catholiques soutenus par l’Autriche. Quand le conflit dégénère en guerre civile, Mulhouse envoie un détachement militaire de 100 hommes Après la défaite des Zurichois lors de la bataille sanglante de Kappel (octobre 1531) qui coûte la vie à Zwingli, le traité de paix met fin à l’espoir des protestants de voir la Confédération entière rallier la Réforme, mais maintient aux cantons réformés leur liberté religieuse.
Du point de vue religieux, les théologiens mulhousiens, en général d’accord avec les Confédérés qui dans la « Confessio helvetica » restaient fidèles à la mémoire de Zwingli, sont également proches des strasbourgeois qui appuient les efforts de Bucer pour rétablir une entente avec Luther. En 1556, Mulhouse adopte avec tous les cantons réformés, la « Confessio helvetica posterior » rédigée par Bullinger qui, après de longues négociations, établit une entente avec Calvin, plus proche de Luther que de Zwingli.
Pendant tout le XVI° siècle, Mulhouse suit les usages établis par Bâle
Grâce à leur alliance avec les Suisses, les Mulhousiens parviennent à se tenir à l’écart des luttes religieuses intervenues en Allemagne, où l’empereur Charles Quint s’attaque à l’hérésie luthérienne devenue de plus en plus envahissante ; la paix religieuse d’Augsbourg (septembre 1555) met fin à ces luttes et permet au luthéranisme allemand de prendre un nouvel essor. La situation financière de la ville est devenue florissante. En France éclatent les guerres de religion. Quelques jours après le massacre de la Saint-Barthélemy, Mulhouse voit venir se réfugier les trois jeunes fils et le neveu de l’amiral de Coligny, déguisés en écoliers, en route vers Bâle puis Genève.
Les dernières années du XVI° siècle sont marquées par des querelles intestines, avec des tentatives de rétablissement du catholicisme. En 1597, l’empereur Rodolphe II prétend que l’alliance avec les Suisses est devenue caduque, que la ville doit revenir à l’Empire avec toutes les obligations qui en découlent, et qu’elle doit être exclue du renouvellement de l’alliance des cantons suisses avec le roi de France. Les négociateurs mulhousiens sont suffisamment habiles pour obtenir leur participation à la signature, à Paris, du renouvellement du pacte d’alliance avec la France, signée le 31 janvier 1602.
Par son ambassadeur à Prague, Henri IV fait comprendre à l’empereur qu’il est inutile d’insister davantage, mettant ainsi un point final aux nombreuses tentatives d’annexion de Mulhouse par ses voisins autrichiens.
Mulhouse et le royaume de France
A partir du traité de Westphalie (1648), l’Alsace est progressivement annexée à la France, à l’exception de Mulhouse dont l’indépendance a été confirmée par ce même traité.
La révocation de l’édit de Nantes en 1685 entraîne un afflux de réfugiés, mais Mulhouse n’étant pas suffisamment sûre, peu de familles se fixent dans la ville, la plupart passent en clandestinité en Suisse. La politique de Louis XIV soulève des craintes dans la Confédération et surtout à Mulhouse, enclavée au sein de la nouvelle province française qui à partir de 1698 trouve sa capitale administrative à Strasbourg et judiciaire à Colmar. Le sort de la petite République dépend de l’attitude des cantons suisses lors des guerres de la ligue d’Augsbourg (1686) et de succession d’Espagne (1701). L’appartenance confessionnelle continue à diviser les cantons, qui malgré les pressions et les nombreuses violations de leur territoires surent maintenir leur neutralité. Lors de la signature des traités de paix, Mulhouse est toujours mentionnée comme alliée des Cantons. Après la mort de Louis XIV, les traités entre la Confédération et le royaume de France doivent être renouvelés. De manière inattendue, les cantons suisses acceptent que Mulhouse soit mentionnée dans les accords.
Mulhouse ville conservatrice
Mulhouse, indépendante, reste un centre strictement réformé. Les candidats au pastorat sont formés à Bâle ou Heidelberg. La population suit une discipline rigoureuse, une ordonnance interdit la sortie de la ville le dimanche à l’heure du culte. Le luxe est combattu, l’habillement doit être simple, le plus beau mariage ne doit par réunir plus de 60 personnes. Toute innovation en matière religieuse est combattue, piétistes et Moraves sont exilés. La Ville ne tolère aucune atteinte à son caractère confessionnel : en réponse à l’attitude opposée de Strasbourg à l’égard des réformés, la célébration de cultes luthériens est interdite. La réforme des écoles est terminée, mais essentiellement dédiée à l’enseignement religieux, à l’encontre de la Haute-Ecole de Strasbourg créée la même année.
Mulhouse évolue
Au XVIII° siècle, la ville s’enrichit avec les débuts de l’industrialisation.
La rigueur morale, la rigide hiérarchie sociale de la bourgeoisie, les structures administratives archaïques, vont évoluer sous l’influence de l’esprit critique et rationaliste du siècle. La notion de tolérance religieuse est discutée, mais l’évolution est lente, l’idée d’admettre le culte catholique est refusée par le Magistrat. Les harangues prononcées au temple Saint Etienne insistent sur la morale civique, la chance des mulhousiens de vivre dans une république assurant la paix et la liberté (alors que les monarques agissent avec égoïsme et brutalité), et déplorent la baisse du sentiment religieux.
Des cultes en langue française sont introduits à partir de 1657 et la Ville met le chœur de l’église des Franciscains à la disposition d’une collectivité française calviniste, formée de familles huguenotes et d’une garnison militaire à Brisach. L’ouverture d’une école française a lieu en 1679. Progressivement la piété alsacienne et suisse est pénétrée par celle du protestantisme français.
La réunion de 1798 et la fin du « Vieux Mulhouse ».
La crise économique qui ébranle la France en 1788 frappe aussi l’Alsace. L’hiver 1788-1789 est particulièrement dur, avec des conséquences sur l’artisanat et les manufactures, qui avaient connu un essor remarquable ; le chômage s’installe, le prix du blé augmente. La crise économique se double d’une agitation politique dans la perspective de l’élection de nouvelles municipalités par les paroisses. Mais républicain de vieille souche, le bourgeois mulhousien ne s’inquiète pas : la démocratie, vieil héritage urbain, est en marche, et les biens ecclésiastiques ont été sécularisés au XVI° siècle.
Par contre la région entourant Mulhouse est en pleine effervescence et la ville ne peut échapper à la vague révolutionnaire. Les principes d’uniformité de la réforme administrative instituée par la Constituante risquent de faire sauter les barrières douanières, ce que souhaitent les adversaires de Mulhouse, en particulier Colmar. La Ville, qui refuse les assignats, est devenue un centre de spéculation, suspecte d’abriter des prêtres réfractaires et des déserteurs. L’initiative locale de créer un cordon douanier est refusée à Paris, un blocus est mis en place, avec comme conséquence la hausse des prix, en particulier du blé. L’activité chute, les ouvriers partent. Une autorisation de transit provisoire est accordée, mais les délégués mulhousiens comprennent l’inutilité de négociations qui n’auraient pas pour but la réunion de Mulhouse à la France. Les cantons suisses ne réagissent pas. L’entrée du colmarien Reubell dans le Directoire, l’influence des milieux haut-rhinois, l’attitude de la bourgeoisie évoluée favorable aux idées révolutionnaires, l’enthousiasme des jeunes générations, tout ceci aboutit à ce que le Grand Conseil de la ville, en janvier 1798, vote par 97 pour, 5 contre, la réunion à la France.
Un des effets de la réunion est l’ouverture de la ville aux israélites et aux catholiques. La Ville cède à la population catholique, qui s’élève alors à 600 personnes, le chœur de l’église des Franciscains, qui prend le nom d’église Sainte-Marie.