La découverte du monde slave
Pierre-Charles Toureille est né à Nîmes le 5 mai 1900. Son père est directeur des octrois de la ville ; sa mère, née Léonie Bastide, se distingue pendant la Première Guerre mondiale en secourant et soignant les blessés, notamment les soldats slaves parvenus jusqu’à Nîmes. Dèsl’âge de 15 ans, Pierre-Charles s’engage également comme bénévole à l’hôpital militaire : c’est là son premier contact, décisif, avec le monde slave et le début de sa fascination pour les langues slaves. Dès ce moment, il se destine au ministère pastoral.
Il entre en 1919 à la faculté de théologie de Montpellier puis, deux ans plus tard, à celle de Strasbourg, université concordataire où il se perfectionne également en langue et en littérature tchèques. Ayant obtenu une bourse du gouvernement tchécoslovaque, il passe en 1920-21 un an d’études à Prague où il traduit en français un ouvrage de Tomas Masaryk, premier président de la toute jeune république de Tchécoslovaquie. Il séjourne en 1924 un an à l’université de Bratislava, puis soutient à Strasbourg sa thèse sur Jan Hus, le précurseur tchèque de la Réforme.
L’aumônier des protestants étrangers
P.-C. Toureille devient pasteur à Bourdeaux (Drôme), puis à Congénies (Gard). Appartenant à cette génération qui a tant souffert de la Grande Guerre, il est devenu un actif militant de la paix. Il est nommé en 1931 responsable du Comité des Jeunes au sein de « l’Alliance universelle pour l’amitié internationale par les Eglises », association née en 1914 à la veille de la Première Guerre mondiale. Nommé secrétaire de l’organisation pour la France et l’Amérique du Sud, il voyage fréquemment ; en 1932, il rencontre ainsi le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer.
Lorsque survient la Seconde Guerre mondiale, Toureille est mobilisé dans une usine de munitions puis, en décembre 39, devient aumônier militaire d’un groupe de soldats de la Légion étrangère et de membres protestants de la Brigade Internationale retour d’Espagne. Après la défaite de 1940, le Conseil Œcuménique des Églises à Genève et la Fédération protestante de France le nomment aumônier général des Protestants étrangers en France. Son supérieur hiérarchique à Genève est le pasteur Adolph Freudenberg ; Toureille travaille également avec la CIMADE, qui intervient activement dans les camps de réfugiés en France. Le périmètre d’action de l’aumônerie est vaste : tout le sud de la France, de Nice aux Pyrénées, et l’Afrique du Nord. On a estimé à douze mille le nombre de paroissiens qui relèvent de sa responsabilité.
P.-C. Toureille établit sa famille et son bureau à Lunel (Hérault), pour échapper à la surveillance insistante des services secrets de Vichy. Sa présence à Lunel est discrète et il n’y joue aucun rôle local. Il s’entoure de bénévoles ; ainsi dès 1941, au moins deux de ses collaborateurs sont des étudiants en théologie de Montpellier. Il s’agit d’organiser les secours d’urgence, de retrouver des membres de familles dispersées, de fournir des vivres et d’envoyer de l’argent à ceux qui ont tout perdu… Les subsides viennent de Suisse, des États-Unis et de France, et il faut gérer ces fonds au jour le jour.
Au secours des Juifs
Les bénéficiaires sont théoriquement tous des réfugiés protestants, venus d’Allemagne, d’Autriche ou d’Europe centrale. Mais très vite, ce travail caritatif se transforme en une opération de sauvetage des juifs étrangers menacés par la police française.
Les activités clandestines de Toureille sont la face cachée de ses activités officielles. Toureille se rend d’ailleurs souvent à Vichy, pour y chercher des appuis et des subsides de l’Etat français. Le travail clandestin consiste à aider les prisonniers qui ont réussi à échapper aux camps à s’évanouir dans la nature, grâce à de faux papiers d’identité ou de faux certificats de baptême, à les faire accompagner jusqu’à la frontière où des réseaux de passeurs les convoient vers l’Espagne et la Suisse.
Plusieurs perquisitions de la Gestapo ont lieu dans le bureau de Toureille ; mais grâce à sa mémoire exceptionnelle, Toureille n’a laissé aucune trace matérielle de ses activités clandestines : toute la gestion non officielle de ses « paroissiens » juifs est dans sa tête. En 1943, Toureille entre en contact avec Herbert Steinschneider (alias Séguy), étudiant en théologie bilingue franco-allemand ; Toureille lui demande de rendre visite à des juifs germanophones à Lyon et à Grenoble, à l’occasion de ses vacances universitaires ; puis de servir d’accompagnateur vers la frontière suisse.
Pour ses activités, Toureille reçoit de nombreuses décorations :
- la Médaille des FFL (Forces françaises libres), des mains d’Antoine Rybak, chef du réseau de résistance franco-tchèque, et la Médaille de la résistance française ;
- la Vojenska Medaila za Zasluhui (médaille militaire du mérite) du gouvernement tchécoslovaque, et le Lion blanc, des mains du Président Benes ;
- en 1969, la Grosse Verdienstkreuz, sur proposition du chancelier Willy Brandt (il s’agit de la plus haute distinction civile allemande qui peut être conférée à un étranger) ;
- enfin, en 1973, il reçoit le titre de Juste parmi les nations.
Après la guerre
A la Libération, Toureille a 45 ans. L’aumônerie des étrangers dissoute, Toureille décide de partir en Tchécoslovaquie, qu’il appelle sa « seconde patrie ». La honte des accords de Munich le poursuit : il demande pardon au peuple tchécoslovaque « en tant que français et chrétien » pour avoir cédé face à Hitler. Il obtient un doctorat en théologie de l’université de Bratislava en 1947. La communauté juive de Bratislava lui rend hommage pour avoir secouru et sauvé nombre de juifs.
Mais inquiet pour l’avenir de la Tchécoslovaquie face à l’influence soviétique, il quitte le pays et devient en 1947 pasteur de l’Église protestante française de Washington (États-Unis). En 1955, sa famille et lui obtiennent la nationalité américaine. Toureille part alors, au nom de l’Église presbytérienne américaine, au Congo belge. Mais en 1960, la décolonisation du pays met un terme à sa mission ; Toureille revient en Europe, où il enseigne le français et l’histoire-géographie dans plusieurs lycées français et suisses. De 1964 à 1973, installé à Morges (Suisse), il devient secrétaire pour l’Europe de la Mission évangélique contre la lèpre.
En 1973, Toureille prend sa retraite à Anduze (Gard), où il s’éteint le 31 octobre 1976.