Années de jeunesse et de guerre
Né à Valence en 1913, dans une famille protestante, Paul Ricœur devient très tôt orphelin et est élevé par ses grands-parents.
Passionné de lecture, il s’intéresse à la philosophie, qu’il va étudier à la Sorbonne. Il est adepte des « Vendredis » de Gabriel Marcel et découvre la revue Esprit, qui vient d’être créée par Emmanuel Mounier en 1932. Chrétien radical, il se lie avec André Philip, futur élu du Front Populaire, s’interroge sur la violence et l’État et apprend l’allemand. En 1935, il est reçu à l’agrégation de philosophie et devient professeur, successivement à Saint-Brieuc, Colmar et Lorient.
Mobilisé en 1939 comme officier de réserve, Paul Ricoeur est fait prisonnier et envoyé en camps en Poméranie orientale. C’est là, à Arnswalde, alors qu’il partage sa chambrée avec sept compagnons intellectuels comme lui, qu’il traduit en secret Ideen d’Hüsserl, philosophe juif alors banni par le régime nazi. Paul Ricœur écrit sa traduction dans les marges des pages du livre, qu’il cache sous son matelas.
Du Chambon-sur-Lignon à Nanterre
Après la deuxième guerre mondiale, Paul Ricœur devient pour trois ans professeur au Chambon-sur-Lignon, haut lieu de Résistance protestant de Haute-Loire, qui s’était illustré en sauvant 600 enfants juifs de la déportation.
En 1948, il s’installe à Strasbourg, pour enseigner à l’Université et terminer sa thèse sur la Volonté (1950). Il y vivra « huit années très heureuses ». Son engagement philosophique le mène à prendre position sur des questions essentielles de société dans la revue Le Christianisme social, et à analyser le « paradoxe politique », notamment dans la revue Esprit.
Élu professeur à la Sorbonne en 1956, Paul Ricœur vient s’installer avec sa famille (il a 5 enfants) aux « Murs Blancs » à Châtenay-Malabry, ville de la banlieue parisienne, où Emmanuel Mounier avait créé une communauté autour d’Esprit en 1939. Paul Ricoeur entre en contestation avec le gouvernement français et l’OAS sur la guerre d’Algérie.
Dès 1960, son parcours philosophique prend un nouveau tournant : Après la phénoménologie, il travaille désormais sur l’herméneutique notamment au structuralisme et à l’œuvre de Sigmund Freud, qu’il commente, ce qui lui attire des critiques violentes de la part des althusséro-lacaniens.
Professeur à la Sorbonne, Paul Ricœur enseigne également à la Faculté de Théologie Protestante de Paris, où il attire de nombreux étudiants aux projets de recherche peu conventionnels.
En 1964, il fonde le département de philosophie de la nouvelle université de Nanterre et prophétise un « cataclysme national », s’il n’y a pas de réforme scolaire d’ampleur.
Il analyse les événements de 1968 comme la révolution culturelle d’une société industrielle en perte de sens.
Élu doyen de Nanterre en 1969, il doit démissionner en mars 1970, à la suite de violences opposant les étudiants et les forces de l’ordre qui ont fait 187 blessés sur le campus de la faculté. Il quitte Nanterre, plein d’amertume, avec le sentiment d’avoir été manipulé.
« L'exil » américain
Après son échec à Nanterre, Paul Ricœur enseigne pendant trois ans à Louvain, en Belgique, là où sont conservées les archives Husserl. Dès 1970, il devient, en parallèle, professeur à l’Université de Chicago et à la Divinity School, où il succède au grand théologien Paul Tillich.
Ami de Mircea Elliade et de Hannah Arendt, il se rend compte que ses travaux ont beaucoup de succès aux États-Unis.
Cet « exil » américain n’est d’ailleurs qu’apparent puisqu’il passe la moitié de l’année à Paris, où depuis 1967, il anime le « séminaire de la rue Parmentier », plaque tournante de la recherche internationale en philosophie.
Durant ces années, Paul Ricœur publie certains de ses livres majeurs : La Métaphore vive (1975) et les trois volumes de Temps et Récit (1981-1984)
La consécration
Dans les années 80, Paul Ricœur est largement reconnu en France, notamment pour son éthique politique. Il inspire le Premier ministre Michel Rocard dans la solution du dossier de Nouvelle-Calédonie en 1988, témoigne dans l’affaire du sang contaminé, devient médiateur dans le conflit des sans-papiers. Sa quête d’une sagesse pratique est reconnue jusque dans la sphère judiciaire, où il intervient à l’Institut des Hautes Études sur la Justice.
Paul Ricœur se situe à la croisée de trois traditions philosophiques : la philosophie réflexive française, la philosophie dite continentale européenne et la philosophie analytique anglo-saxone. A la confluence des ces trois courants, il reprend la question du sujet et publie en 1990 Soi-même comme un autre, véritable somme synthétique, riche de ses cercles successifs de lecture.
En septembre 2000, il publie La mémoire, l’histoire et l’oubli, où il réfléchit à la dialectique propre aux rapports entre mémoire et histoire. Sa réflexion sur les désastres d’un XXe siècle tragique l’amène à écrire en préambule à ce livre : « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire des abus de commémorations et d’oubli. L’idée d’une politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués. »
En 2004, Paul Ricœur publie Parcours de la reconnaissance, une étude sur les différentes significations du mot reconnaissance, pris sous les divers angles de la recognition, de la reconnaissance du soi et de la reconnaissance mutuelle, qui va jusqu’à la gratitude.
En mai 2005, Paul Ricœur s’éteint à Châtenay-Malabry, après avoir légué sa bibliothèque de travail à la Faculté de théologie protestante de Paris, créant le Fonds Paul Ricoeur.