La période allemande et la période américaine
D’origine luthérienne, Paul Tillich fait de brillantes études de théologie et de philosophie et devient pasteur dans une banlieue ouvrière de Berlin. Pendant la guerre 14-18, il est aumônier sur le front français. Á partir de 1919, il enseigne dans diverses Universités. En 1933, les nazis le révoquent en raison de ses options politiques. Il s’exile aux États-Unis où il s’installera définitivement.
En Allemagne, il élabore les fondements de sa théologie et plaide pour un « socialisme religieux ». La religion n’a pas à régenter le monde, mais quand une possibilité positive (comme le socialisme) y apparaît, la religion doit l’aider à se concrétiser et l’empêcher de mal tourner (de devenir démoniaque).
Aux États-Unis, il expose les grands thèmes de sa pensée à un nouveau public. Sans jamais renier le socialisme religieux, sous l’influence de l’existentialisme et de la psychologie des profondeurs, il s’intéresse aux dimensions personnelles de la foi chrétienne, par exemple à l’élan et au dynamisme qu’elle donne à la vie humaine.
Son œuvre théologique
Tillich a écrit une œuvre théologique et philosophique d’une exceptionnelle ampleur. Elle se veut systématique, en ce sens qu’elle cherche à mettre en relation divers domaines (systématiser veut dire étymologiquement « lier plusieurs choses entre elles »). Le message évangélique prend sens en fonction de ce qu’est l’existence humaine. Il faut se servir de la science, de l’art, de la philosophie, de la politique, et partir de ce qui angoisse et réjouit l’être humain, de ce qu’il redoute ou espère non seulement pour formuler le message chrétien, mais pour le comprendre et le penser. La démarche courante du protestantisme est d’abord d’analyser l’enseignement biblique et ensuite de voir comment l’adapter à la situation humaine. Tillich propose, au contraire, d’aller de la situation au message, ce qui lui a valu de vives critiques.
Pour Tillich, la foi n’est ni une connaissance, ni un sentiment, ni une tranquillité. Elle est une question et une recherche, celle du sens ultime de notre existence et du monde. Elle n’élimine pas le doute, elle l’inclut et l’affronte constamment. Elle s’exprime dans des symboles qui deviennent idolâtres si on les prend à la lettre. Dieu est toujours « au-dessus de Dieu », c’est-à-dire au-dessus de ce que nous en disons, au-dessus même du nom par lequel le désignons. Il est à la fois sens et puissance (il n’est ni un sens impuissant ni une puissance insensée). Il domine ce qui agresse l’être et menace de la détruire. Cette puissance se manifeste en Jésus le Christ qui fait naître dans le monde et en nous un « être nouveau » (un nouvel Adam ou une nouvelle créature).
Tillich se définit comme un penseur à la frontière (qui n’est pas pour lui une ligne de séparation, mais un lieu de rencontres et d’échanges) : à la frontière de la religion et de la culture, de la théologie et de la philosophie, du sacré et du profane. Il a dialogué avec l’athéisme occidental, avec les religions non chrétiennes (surtout le bouddhisme). Il affirme la complémentarité critique du catholicisme et du protestantisme ; il ne faut pas les mettre en harmonie, mais établir une tension critique et une interpellation réciproque. Á côté d’ouvrages souvent techniques, Tillich publie des recueils de prédications plus accessibles au grand public.
La réception de sa théologie en France
Sa théologie a eu un grand retentissement aux États-Unis. En France, on ne la découvre qu’après sa mort. Ses œuvres sont traduites en français aussi bien par des protestants que par des catholiques. Une association Paul Tillich d’expression française organise des colloques internationaux et interdisciplinaires qui, au-delà de l’étude de Tillich, offrent un lieu important de réflexion et de débat à des gens de toutes tendances.
Une équipe franco-québécoise codirigée par le catholique canadien Jean Richard et le protestant français André Gounelle poursuit la traduction de ses œuvres (9 volumes publiés).