Petit-fils de Christian Gottlieb Steinlen (1779-1847), peintre et dessinateur, d’origine allemande, Théophile Alexandre Steinlen est né à Lausanne en Suisse. Il est naturalisé français en 1901.
Il étudie la théologie à l’université de Lausanne pendant deux ans, mais abandonne le projet de devenir pasteur en 1879, pour se tourner vers une carrière artistique. Il suit une formation au dessin d’ornement industriel à Mulhouse. Employé dans une fabrique de tissus, il dessine les motifs des étoffes. Il s’initie à la gravure, à la lithographie et à la peinture. En 1881, il quitte l’Alsace avec Émilie Mey qu’il épouse plus tard. Installé à Paris, il débute comme dessinateur de tissus.
Un artiste prolifique
Établi sur la butte Montmartre dès 1883, Steinlen y côtoie la bohème et la jeunesse dorée. Le peintre Adolphe Willette lui fait découvrir Montmartre et ses cabarets. Il fréquente le cabaret du « Chat Noir », ouvert depuis peu par Rodolphe Salis, où il sympathise avec différents artistes comme Villiers de l’Isle-Adam ou Alphonse Allais. Il en dessine l’affiche et expose d’abord au Salon des indépendants, puis à partir de 1893, au Salon des humoristes. Quand Salis crée La Gazette du Chat Noir en 1882, Steinlen y livre un premier dessin en 1883, suivi de 72 autres parutions. En 1885, le chansonnier Aristide Bruant ouvre à son tour son cabaret « le Mirliton » et crée une gazette à laquelle Steinlen contribue largement tout en illustrant plus de 120 chansons de Bruant. Il représente la vie de la population montmartroise, les ouvriers, les petites mains et les gens de peu observés dans les rues de Paris.
De 1883 à 1920, il réalise des centaines de dessins, publiés dans diverses revues de l’époque certains sous un pseudonyme en raison de leur contenu politique.
Il illustre aussi des ouvrages littéraires et collabore à des journaux satiriques tels L’Assiette au Beurre, Le Rire et les Humoristes qu’il fonde en 1911 avec Jean-Louis Forain. Il devient l’ami de Toulouse-Lautrec.
Un artiste anarchiste
Steinlen rencontre d’anciens « communards » (partisans de la Commune de Paris) rentrés d’exil grâce à la loi d’amnistie de 1880. Il sympathise avec les socialistes et les anarchistes et s’affirme parmi les artistes les plus sensibilisés au mouvement social de la fin du siècle.
En 1890, il illustre le livre Prison fin de siècle rédigé par deux communards emprisonnés à Paris à la prison Sainte-Pélagie. À partir de 1893, il livre de nombreux dessins au Chambard socialiste, parfois sous le pseudonyme de Petit Pierre. Son audience s’élargit grâce à la presse. Sa première exposition se tient en 1894.
Au contact du milieu anarchiste, il dénonce la pauvreté et la misère, la dureté du monde ouvrier et les conditions de vie des filles des rues « Tout vient du peuple, tout sort du peuple et nous ne sommes que ses porte-voix » écrit-il. Il livre des dessins dénonçant l’exploitation des masses laborieuses, attaquant l’Église, le capital, l’armée, défendant une République sociale représentée sous les traits d’une jeune femme libératrice et émancipatrice.
En juillet 1894, suite au vote des lois sur la presse, menacé d’arrestation comme Octave Mirbeau, il se rend à Munich où il publie dans Simplicissimus, hebdomadaire socialiste allemand, puis en Norvège.
Dans l’intervalle, se tient à Paris le « Procès des Trente » qui réunit sur les bancs des accusés vingt-cinq prévenus anarchistes, dont Paul Reclus et Félix Fénéon, accusés d’association de malfaiteurs. Après la relaxe des figures du mouvement anarchiste, Steinlen rentre en France à la fin de 1894.
En 1895, il demande sa naturalisation et épouse sa compagne à la mairie du 18ème arrondissement de Paris. Il continue à livrer ses dessins à différents titres, au Gil Blas, au Mirliton, mais aussi à La Petite République, à L’Almanach socialiste. Il est sollicité pour illustrer des annonces de conférences, ou des chansons comme L’Internationale d’Eugène Pottier en 1895. La même année, il réalise la couverture des Soliloques du pauvre de Jehan Rictus. À compter de 1897, il est le principal illustrateur de La Feuille de Zo d’Axa (17 numéros sur 25).
En 1897, il s’engage durant l’affaire Dreyfus, dénonçant les mensonges de l’armée et les machinations de l’état-major. En 1902, il fait partie des illustrateurs des Temps Nouveaux, comme Maximilien Luce, Félix Vallotton, Paul Signac et Camille Pissarro. Il y collabore jusqu’en 1914, puis jusqu’en 1920. De 1901 à 1912, il dessine dans L’Assiette au Beurre où il dénonce l’injustice, la misère sociale et affirme son anticléricalisme et son esprit libertaire. Il illustre des ouvrages et brochures proches du mouvement anarchiste, comme L’État, son rôle historique, de Pierre Kropotkine et Évolution et Révolution d’Elisée Reclus.
Il pratique également la gravure, comme dans ses lithographies sur les malheurs de la Serbie et de la Belgique en 1914-1918. Il doit sa renommée à ses talents d’affichiste : la figure du chat, dans la série des affiches de la Tournée du Chat noir, ou dans le domaine de la sculpture (Chat angora assis), exerce sur lui une véritable fascination.
Un artiste engagé
En 1902, il milite pour la création d’un syndicat des artistes peintres et dessinateurs. Il en prononce le discours d’adhésion à la Confédération générale du travail en juillet 1905. En 1904, il adhère également à la société des dessinateurs et humoristes dont en 1911 il est un des présidents d’honneur. En 1905, il adhère ainsi que Zola, Charles Andler, Séverine ou Octave Mirbeau, à la Société des Amis du Peuple Russe et des Peuples annexés dont le président est Anatole France. En 1907, il figure dans un comité destiné à ériger une statue en l’honneur de Louise Michel. Il signe diverses pétitions, contre la condamnation à mort du cordonnier Liabeuf en 1910 (pour coups à agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, lesdits coups ayant entraîné la mort) ou celles de révolutionnaires japonais en 1911.
Pendant la Première Guerre mondiale, Steinlen parcourt les lieux des combats, s’attachant à montrer, avec le regard du pacifiste humaniste, les poilus et les blessés au front mais aussi la vie à l’arrière des masses laborieuses.
Il participe à des campagnes de bienfaisance, suggère l’idée d’une Marianne républicaine et révolutionnaire, patriotique et victorieuse. Après-guerre, outre des expositions personnelles comme celle de 1920, il collabore à L’Humanité, à Clarté comme aux Temps nouveaux. Il réalise de nombreuses toiles et illustre des ouvrages et brochures. Il fait le portrait d’artistes contemporains dont il est l’ami, comme Anatole France ou Maxime Gorki.
À sa mort, en 1923, ses cendres sont inhumées au cimetière parisien de Saint-Vincent. Ses funérailles rassemblent de nombreux inconnus sensibilisés à son œuvre.