Le fondateur de la paléontologie
Il naît à Montbéliard (ville dépendant alors du duché de Wurtemberg, mais de langue et de culture française) d’une famille de bourgeois luthériens, où l’on compte de très nombreux pasteurs, aussi bien du côté paternel que maternel. Il fait ses études secondaires au Gymnase de Montbéliard, où il se révèle un élève exceptionnellement doué, premier dans toutes les matières. Alors qu’il se dirigeait vers des études de théologie pour devenir pasteur, il ne put obtenir une bourse du prince pour l’Université de Tübingen. En 1785, le prince lui accorde une bourse pour aller à la célèbre Académie Caroline de Stuttgart, école moderne où il acquiert de multiples connaissances, en économie, mais surtout en géologie, minéralogie, botanique, zoologie, et devient polyglotte.
Après être retourné à Montbéliard, Cuvier trouve un emploi de précepteur dans une famille noble protestante de Normandie, où il passa de 1788 à 1795 les différentes années révolutionnaires. Dans ce nouveau contrat, il observe la faune marine, et rencontre l’abbé Teissier, un agronome, membre de l’ancienne académie royale des sciences, et médecin chef de hôpital militaire de Fécamp, qui l’intéressa aux recherches qu’il avait entreprises sur les mollusques. L’abbé Teissier, séduit par son savoir encyclopédique, le met en rapport avec ses amis à Paris, où Cuvier s’installe en 1795, et où il fait une carrière fulgurante. D’abord professeur d’histoire naturelle dans l’école centrale du Panthéon, il est nommé en 1799 professeur au Collège de France à la chaire d’Histoire naturelle, où il succède à Daubenton. Sollicité par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, directeur du Jardin des Plantes, il fut nommé en 1802 professeur d’anatomie comparée au Museum d’histoire naturelle, dont il devient directeur en 1808.
Désireux de rehausser le prestige des activités scientifiques, Napoléon demande aux ministres de l’intérieur Chaptal en 1803 et Champagny en 1807 de rédiger le tableau des progrès des sciences depuis 1789. En tant que Secrétaire Perpétuel de l’Institut, Cuvier prend en main le rapport et le remet le 1er janvier 1818 à l’Empereur. Il y expose surtout ses idées personnelles. Ainsi en tant qu’anatomiste, Cuvier dit qu’idées et opérations intellectuelles ainsi que la diversité de l’intelligence et de la volonté sont liées à l’organisation plus ou moins heureuse du cerveau. Il rappelle la différence de volume du cerveau selon les espèces.
En 1812, déjà célèbre, il publie son ouvrage princeps, Recherches sur les ossements fossiles des quadrupèdes. Il pose la loi de subordination des organes (les organes d’un être agissent les uns sur les autres et coopèrent à une action commune par une réaction réciproque), il établit une nouvelle classification des vertébrés. Le principe des corrélations des formes (chaque partie d’un animal peut être déterminée par chaque autre et toutes par une seule) lui permet de reconstituer à partir d’ossements et de fossiles des squelettes entiers, prouvant l’existence de toute une faune ignorée : Cuvier est le fondateur de la paléontologie. Il défend sa théorie du « cataclycisme » (Discours sur la révolution du globe, 1815) et s’oppose à l’« actualisme », principe selon lequel les lois qui ont déterminé les phénomènes géologiques du passé sont les mêmes que celles qui règlent les phénomènes actuels ; au contraire, dans le catastrophisme de Cuvier, certains événements du passé ne peuvent s’expliquer que par des phénomènes particuliers et souvent violents. Partisan du « fixisme », il s’oppose à son collègue Lamarck, qui au même moment met au point la théorie fondamentale de la transformation des espèces, authentique initiateur des théories de l’évolution. Son engagement scientifique a-t-il été marqué par ses attaches protestantes ? Il est possible que la combinaison entre catastrophisme et fixisme lui semblait permettre une explication de la disparition de certaines espèces plus conforme aux écrits bibliques que toute hypothèse évolutionniste.
En plus de ses activités scientifiques, Cuvier eut un rôle important dans les domaines de l’éducation et dans la réforme de l’Université engagée par Napoléon. Inspecteur de l’instruction Publique en 1802, puis conseiller de l’Université, il organise les lycées de Marseille et Bordeaux et Nice. En 1810 il réorganise les Académies de l’Italie supérieure, puis les grandes écoles dans les départements français de la Basse-Allemagne et des Pays-Bas. En 1813 il restaure l’instruction publique dans les États pontificaux et institue en France les comités cantonaux pour la direction des écoles primaires.
Un homme de pouvoir
Il accumule les responsabilités et les distinctions. Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, il est fait Maître des requêtes en 1813, puis nommé Conseiller d’État par Louis XVIII en 1814, et en 1819 il est président de la section de l’intérieur au Conseil d’État. Baron en 1818, élu à l’Académie Française (où il accueillera en 1830 Lamartine), il fut, comme libéral constitutionnel, nommé en 1820 grand maître de l’Université, charge dont il démissionne rapidement. Il s’opposa à l’entrée des Jésuites à l’Université, et refusa d’être le censeur de la presse sous Charles X, qui l’avait élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur. Il entre à la chambre des pairs sous la Monarchie de juillet, fut président du Conseil d’État, tout en continuant à être professeur au Collège de France. Son frère Frédéric lui succéda dans ses fonctions au Conseil d’État et à la direction des cultes.
Un fidèle du luthéranisme
Il intervient auprès de Napoléon pour l’organisation du culte luthérien à Paris, qui fut installé en 1806 à l’Oratoire des Billettes. En 1824, il est chargé des Facultés de théologie protestante, et en 1828 de la direction des cultes non catholiques ; il favorise la création de nombreux postes pastoraux, en particulier dans le pays de Montbéliard. Sa fille Clémentine s’est beaucoup dépensée dans les œuvres protestantes.
On connaît la phrase de Balzac sur l’homme qu’il mettait sur le même plan que Napoléon : « Cuvier qui a épousé le globe ». Avec son esprit souvent ironique et son caractère autoritaire, l’influence de Cuvier fut considérable.
Sa mort brutale reste mal élucidée, souvent rapportée au choléra. Ses obsèques, suivis par une foule considérable, furent un triomphe romantique.