Du premier culte luthérien au culte régulier
En octobre 1626, une proclamation à sensation co-signée par une vingtaine de princes et ambassadeurs scandinaves et allemands en mission diplomatique à Paris fait savoir qu’un culte luthérien avec Sainte-Cène a été célébré sous la présidence du pasteur suédois Jonas Hambraeus dans une de leurs ambassades.
Plus qu’un acte de foi, c’est une provocation car tous les luthériens présents à Paris sont invités pour la « prochaine fois ». Cette invitation ne prend effet qu’en 1635 avec l’installation comme légat permanent de Suède à Paris d’Hugo Grotius. Celui-ci s’établit au quai Malaquais, ouvre sa « chapelle » – c’est en fait le salon de l’ambassade dont les meubles sont enlevés – et engage Hambraeus comme pasteur : il y a culte chaque dimanche et tous les luthériens de Paris peuvent s’y rendre.
Qui sont les luthériens à Paris ?
Le registre du pasteur mentionne les noms de ceux qui ont communié à la chapelle de Suède de 1635 à 1680. Ce sont presque tous des étrangers : au début des rois et princes scandinaves et de l’empire germanique, des ambassadeurs extraordinaires et des militaires de haut rang en mission en France. Rapidement ils ne sont plus les seuls : assistent au culte en grand nombre des étudiants suédois et allemands qui fréquentent la Sorbonne. Viennent aussi des apprentis artistes, dont le portraitiste Lundberg, le peintre Ehrenstrahl, le médailleur Meybusch.
Les autres sont des immigrants allemands, pauvres gens qui fuient leur pays dévasté par la guerre de Trente ans (1618-1648). Ils arrivent à Paris sans papiers, sans bagages, ne parlent pas la langue, ne savent pas où s’adresser pour être embauchés. Ils trouvent de l’aide à la chapelle de Suède où ils sont accueillis par le pasteur Hambraeus, qui inscrit leurs noms dans son livre et où ils participent au culte du dimanche. À la sortie, ils sont pris en charge par des aînés déjà implantés qui les hébergent et les aident à se placer. Ainsi se forme, semaine après semaine, une petite communauté allemande.
Dès 1679, devant les menaces de dispersion, le légat de Suède Nils Bielke adopte officiellement cette communauté en lui donnant le statut de communauté d’ambassade. Ce statut lui assure la protection et les subsides du roi de Suède et le bénéfice de l’exterritorialité pour l’exercice du culte. Pour la conduire, l’ambassadeur fait venir un Allemand, le pasteur Cephalius, autorisé à prêcher en allemand et à tenir des registres d’état civil en cette langue. Tout cela, en violation des usages diplomatiques ordinaires.
Les difficultés de la vie dans Paris catholique
Tranquilles pour la pratique de leur foi, ces luthériens étrangers n’en rencontrent pas moins des difficultés pour vivre dans une société catholique et xénophobe.
Les statuts des corporations comportent un règlement pour les étrangers très rigoureux, ce qui ralentit leur ascension professionnelle. Il est très difficile à ces luthériens de se marier, le roi Louis XIV a interdit à ses sujets d’épouser quelqu’un d’une autre religion, de choisir un étranger, d’aller se marier à l’étranger sans son expresse permission.
Dans les hôpitaux, tous tenus par des congrégations catholiques, on cherche à les convertir avant de les soigner. À partir de 1685, le cimetière protestant de la rue des Saints-Pères ayant été dévasté, les enterrements ne peuvent se faire que la nuit le long des berges de la Seine.
Sans les subsides de la Suède et les soins des diacres de la chapelle, le petit groupe de luthériens n’aurait pu survivre dans Paris.